Vikings
nuit !
Sievers quitta la chambre de Storman sans lui jeter le moindre regard. Le jeune homme regarda le presse-papiers dérisoire sur la liasse de documents. Pour la première fois, il se dit que cette croix gammée était peut-être moins solide qu’elle ne paraissait. Puis il regarda le manuscrit d’Haraldsen. Une atroce sensation de vertige s’empara de lui : serait-il à la hauteur de sa mission ?
Chapitre 12
P OUR LA TROISIÈME FOIS , il passa devant le gros chêne et la petite chapelle qu’il protégeait de son feuillage. Une femme, qui passait devant lui en portant un fétu de paille, le regarda avec méfiance. Il faut dire que Pierre Le Bihan avait tout l’air de préparer un mauvais coup dans le voisinage, à force de passer et de repasser sur sa bicyclette en empruntant la même route, dans un sens puis dans l’autre. Il n’y avait pourtant rien de bien précieux à convoiter dans la région. Les arbres des vergers paraissaient plutôt modestes et les quelques fermes qui étaient plantées au fond de la vallée trahissaient la pauvreté de leurs habitants. Même les vaches qui paissaient dans les bocages semblaient avoir perdu de leur superbe d’avant-guerre. À l’image de tout un pays meurtri par les privations, ce petit coin de Normandie n’avait pas échappé à la folie des hommes.
À bout de patience, Le Bihan jeta un regard derrière lui pour s’assurer de ne pas avoir manqué le petit sentier qui longeait la rivière. Où pouvait donc se cacher ce satané lieu-dit de la « Vache à Bosse » ? Ses souvenirs lui paraissaient pourtant tellement précis et voilà qu’il n’arrivait pas à refaire le chemin qu’il avait accompli naguère avec sa mère. Comme il n’accordait plus suffisamment d’attention à la route, la roue de son vélo n’évita pas le gros trou au beau milieu de la voie. Le nid-de-poule était tellement profond que la roue s’immobilisa ; cela ne dura qu’un court instant, mais ce fut suffisant pour que le jeune homme perdît le contrôle de son engin. La roue arrière se déporta d’un seul coup sur la gauche et Le Bihan dévala une pente pour aboutir quelques mètres plus loin, en contrebas, dans les herbes hautes.
— Merde ! cria-t-il en se relevant et en constatant les conséquences de sa sortie de route.
Il avait éraflé la peau de ses coudes et cogné son menton à terre. Mais plus que le sang qu’il perdait, c’était surtout l’état de son vélo qui le préoccupait. L’engin n’avait pas trop souffert. Il le poussa sur quelques mètres afin de s’assurer de son bon fonctionnement et constata que la roue voilait.
— Si c’est pas malheureux, une si belle machine ! s’exclama une voix derrière lui.
Le Bihan tourna la tête et vit la femme qui l’avait observé avec suspicion quand il repassait devant le chêne. Le jeune homme s’était promis d’agir dans la plus grande discrétion, mais au point où il en était, il se dit qu’il valait mieux abattre ses cartes avec franchise.
— Oh, ce n’est pas grave, répondit-il dans un sourire. Ma bicyclette en a vu d’autres ! Mais peut-être pourriez-vous m’aider. Je voudrais rendre visite à la vieille Léonie, mais je ne me souviens plus quel sentier il faut emprunter pour atteindre sa ferme.
La femme changea instantanément d’expression et parut à nouveau sur ses gardes.
— Vous lui voulez quoi à la Léonie ? lâcha-t-elle d’une voix suspicieuse.
— Ne craignez rien, répondit Le Bihan en tentant d’être le plus convaincant possible. Je ne lui veux aucun mal, je souhaite seulement lui poser des questions sur la région. Vous voyez, je suis historien et...
— Vous êtes pas de mèche avec les Fritz au moins ? coupa-t-elle en fronçant les sourcils.
Avec un luxe de précautions, Le Bihan sortit un petit paquet de papier de sa poche. Il défit lentement l’emballage et le tendit à la jeune femme. Il s’agissait du présent qu’il comptait faire à Léonie, mais il se dit qu’il pouvait bien en partager la moitié avec la femme qui le mènerait à la vieille.
— Tenez, lui dit-il en tendant le trésor, il s’agit d’une barre d’un excellent chocolat. Une de ces merveilles officiellement disparues que seul le marché noir peut vous procurer. Vous pensez bien que si les Allemands venaient à apprendre mon petit trafic, je passerais un mauvais quart d’heure.
L’explication n’était pas de nature à convaincre la femme, mais elle s’empara
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