Vikings
la prenait pas de haut !
Même s’il l’ignorait, le diable d’homme poussait l’audace jusqu’à la poursuivre dans ses rêves. Jeanne posa sa bicyclette contre le mur et prit garde de l’attacher solidement avec une corde à la gouttière. Par ces temps incertains, il ne faisait pas bon laisser traîner ses affaires dans la rue. En sonnant à la porte de bois blanc du numéro 36, elle se demanda si elle ne devait pas lui en vouloir d’avoir fait irruption dans leur vie plutôt que de se laisser tourner la tête comme une idiote.
Depuis sa visite, les Allemands avaient débarqué et descendu la pauvre Léonie. Et voilà qu’elle était obligée de revenir dans cette ville qu’elle détestait pour respecter sa parole. Elle poussa la porte de la maison qui était ouverte et s’engagea dans le couloir recouvert de carreaux hexagonaux noirs et rouges. Elle regarda sur les boîtes aux lettres à quel étage vivait Pierre Le Bihan. Machinalement, elle passa sa main dans les cheveux pour se recoiffer en passant devant le miroir qui se trouvait juste devant les escaliers. Elle allait commencer à monter quand elle entendit le bruit d’une porte qui claquait et des pas descendre rapidement les marches. Elle eut tout juste le temps de se coller contre le mur pour laisser passer Le Bihan qui ne lui adressa même pas un regard. L’homme s’était déjà engagé dans le couloir quand elle l’interpella :
— Monsieur Le Bihan !
Surpris, le jeune homme se retourna et dévisagea la visiteuse.
— Jeanne ! Pardonnez-moi, je ne vous avais pas vue. Que faites-vous ici ?
— Rien de particulier, mentit-elle avec autant de maladresse que de naïveté, puis elle se ravisa. En fait, non ! Je suis venue à Rouen parce qu’il fallait absolument que je vous parle.
Elle marqua un petit silence comme si elle devait prendre son courage à deux mains avant de poursuivre.
— Il s’est passé des choses graves... Des choses importantes dont je dois vous entretenir.
Le Bihan sentit tout le désarroi de Jeanne. Il revint sur ses pas et lui proposa de monter chez lui. Il posa sa main sur le bas de son dos pour l’inviter à le suivre et le coeur de la jeune femme s’emballa. Le Bihan sortit une clé de sa poche et ouvrit la porte de son appartement. Jeanne tentait de ne pas laisser deviner son trouble, mais elle sentit ses jambes flageller quand son hôte lui proposa de s’asseoir dans la cuisine et sortit une bouteille de cidre de l’armoire.
— Je suppose que vous en avez du bien meilleur à la ferme, plaisanta-t-il, mais c’est tout ce que je peux vous offrir, du cidre de ville !
— Oh, mais c’est très gentil à vous, répondit Jeanne d’une manière un petit peu niaise, ce qu’elle se reprocha aussitôt.
Ce Le Bihan était un savant, habitué à fréquenter des filles intelligentes qui avaient fait des études. Elle se sentait bien insignifiante par rapport à elles, même si elle ne les avait jamais rencontrées. Comme un étrange silence s’installait entre eux, le jeune homme prit l’initiative de l’interroger.
— Alors Jeanne, que vouliez-vous me dire au juste ?
— Ils ont tué Léonie, répondit-elle de manière monocorde sans marquer de différence entre les quatre mots de sa courte phrase.
— Quoi ? Qu’est-ce que vous dites ? s’exclama Le Bihan avec horreur. Je savais que je devais y aller hier, je ne me le pardonnerai jamais... On a vu qui a fait le coup ?
— Des Allemands, répondit Jeanne subitement soulagée d’avoir parlé. Ils sont venus l’interroger. Ils ont fouillé la maison en cassant tout et ensuite ils ont tiré dessus. Elle était raide morte. Ils ont jeté le corps dans l’étang, mais le chien l’a retrouvé...
Le Bihan ne savait pas comment réagir. Devait-il se sentir coupable ? Ou rien de tout ceci n’était de sa faute ? Il se passa la main sur le front en se disant que cette histoire commençait vraiment à le dépasser.
— Mais ce n’est pas tout, continua Jeanne qui contrairement à son interlocuteur avait repris du poil de la bête. Il fallait que je vous dise... Depuis votre visite, la vieille avait peur, elle me l’avait dit.
— Pour quelle raison ? demanda Le Bihan. Léonie ne m’avait pas tout dit ?
— Loin de là ! lâcha Jeanne non sans satisfaction d’en savoir plus que ce jeune homme qui la troublait tellement. La pauvre Léonie craignait que l’on vînt chez elle retrouver les traces de vieux secrets. Je
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