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Ville conquise

Ville conquise

Titel: Ville conquise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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parfois plus de mal que de bien… Ça
doit changer ! Ça changera si nous le voulons ! Nous n’avons pas fait
la révolution pour en arriver à ce dénuement.
    On ne savait plus s’il parlait pour ou contre la grève, pour
ou contre le pouvoir. Il répétait presque mot à mot les harangues précédentes, mais
sous une forme mieux ordonnée. Sûr maintenant de lui-même, la voix pleine, le
torse bien dégagé, il requérait contre la misère avec ces mille hommes, Goldine
noircissait un damier sur son bloc-notes. « Quel démagogue ! pensait-il.
L’erreur a été de lui donner la parole… »
    – L’Exécutif a décidé ce matin de vous inviter à former,
à raison de cinq à dix hommes sur deux cent cinquante, de nouveaux détachements
de ravitaillement qui partiront dans les trois jours. Il y a du blé à Saratov, allez
le prendre ! Ne perdez pas une heure !
    Des mouvements confus agitaient les têtes en tous sens ;
brises contraires sur les blés avant l’orage.
    – La Commune vous envoie quatre wagons de vivres, conserves,
sucre, riz, farine blanche, sur les stocks pris aux impérialistes par la
glorieuse armée des ouvriers et des paysans…
    (« Quoi ? » – « Qu’est-ce qu’il a dit ? »
– a Quatre wagons ? » – « Du riz ? » – « Oui, du
riz et des conserves, t’entends ! » – « Ecoute, écoute ! »)
    – … Formez dès demain, dès ce soir, les équipes qui
procéderont à la répartition… Que pas une livre de riz ne soit volée par les
bureaucrates et les profiteurs !
    (« Quand est-ce qu’ils arrivent, les wagons ? »
– « Laissez parler ! »
    – « Pas d’interruptions ! »)
    –  … J’ai dit demain ! Mais on a parlé de grève à
cette tribune. Camarades, sept locomotives et trente canons sont en réparation
dans vos ateliers. Chaque jour de retard dans la livraison des locomotives
augmente la famine. Chaque jour de retard dans la livraison des canons augmente
le danger. Quel est l’imbécile qui ne le comprend pas ! Qu’il se montre !
    Antonov souffla. La sueur mouillait ses tempes. Il fit
sauter les boutons de son col. Vainqueur – avec ces wagons de vivres derrière
lui – redressé de toute sa taille, il défia dans le hall un ennemi invisible :
    – Qu’il se montre !
    Son manteau doublé de mouton jeté derrière lui, il se montra
vêtu d’une blouse déteinte, trouée à l’un des coudes, identiquement pareil à
ces hommes. Il savait qu’il faut engueuler les foules qui pourraient vous
échapper, leur crier à la face ce qu’elles voudraient te crier, s’identifier à
elles – contre elles – par la colère et l’invective. C’était le moment de
foncer contre.
    – … Les lâches, les fainéants, les salopards, les traîtres, les
suppôts de l’Entente, les complices des généraux, les gredins qui ne pensent qu’à
leur peau et à leur ventre, qui voudraient s’emplir la panse, eux, quand toute
la République assiégée a faim ! Qu’ils sachent que la balle prolétarienne
est fondue pour leur front !
    La menace proférée au bout de sa diatribe, il tourna court, concluant
brusquement par une affirmation rassurante qui faillit enlever les
applaudissements ; et il le vit bien :
    – Mais je jure qu’il n’y a pas un traître parmi nous !
    Arkadi l’écoutait avec admiration, Antonov poussait son
avantage à fond :
    – Savez-vous que nous avons trouvé cette semaine
cinquante fusils dans les caves de l’église Saint-Nicolas ?
    C’étaient de vieilles armes de panoplies déposées sur les
tombes depuis la première campagne de Turquie.
    – … que les agents de l’Entente méditent de faire sauter les
forts de Cronstadt ?
    Ils l’eussent souhaité ; mais on n’avait sur leurs
desseins que les rapports intéressés d’un espion double.
    – … que la Commission extraordinaire vient de découvrir un
nouveau complot ?
    La Commission cherchait, il est vrai, ce complot…
    La réunion s’achevait dans un tumulte vaincu. Un ouvrier
lisait d’une voix rêche un texte de résolution :
    – … les mains puissantes du prolétariat briseront
impitoyablement…
    – « Toujours ces clichés », pensa Timoféi. Juché
sur les épaules de deux gars, que la houle humaine faisait doucement chanceler,
il criait :
    – L’atelier B se réunit à part !
    Car il fallait tenter de rallier, dans cette débâcle, les
hommes sûrs. Goldine l’entraîna.
    La nuit allait les happer à la

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