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Ville conquise

Ville conquise

Titel: Ville conquise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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l’Antéchrist. On
se rassemblait aux veillées pour lire les appels de l’armée blanche qui
promettait l’ordre, la paix, le respect des biens, le châtiment des juifs et
des distributions de pain blanc. Des miches blanches apportées du front
passaient de main en main excitant l’admiration. On confectionnait dans les
petites villes des listes de suspects à dénoncer à l’arrivée des Blancs. Chacun
y faisait inscrire le voisin avec lequel il avait de vieux comptes à régler. Les
Verts dominaient des régions entières. Ils obéissaient à un commandement unique
assuré par des chefs instruits. Ces déserteurs qui ne voulaient se battre pour
aucun parti et, pour n’être ni Blancs ni Rouges, arboraient la couleur des
forêts, leur refuge, en arrivaient à former une armée aussi régulière que les
autres, portée à coordonner ses actions avec les Blancs contre les Rouges, puisque
ceux-ci étaient encore les plus forts. Quatre mille Verts occupaient la région
de Vélikié Louki. Ils pouvaient être quinze mille dans la région de Pskov. Ils
livraient des batailles rangées. Ils fusillaient naturellement les communistes.
    Des avions ennemis survolaient Cronstadt, en y laissant
tomber de jolies bombes luisantes cerclées de cuivre rouge. Les fleurs énormes
des explosions blanches naissaient alors sur la terre et dans le ciel de mai. Un
grand sous-marin britannique attaqua, le 4 juin, des torpilleurs rouges et fut
coulé. Cinquante hommes par le fond, vieille Angleterre ! et avec eux le
joyeux Ted qui savait chanter si drôlement sur un air nègre :
    Tous les bateaux iront au fond,
    Par six cents yards de
profondeur !
    Faut pas s’en faire, faut pas s’en
faire.
    Nul n’en sut rien. Un déjeuner du premier lord de l’Amirauté
en fut assombri. La ville apprit mystérieusement que les forts de la Colline, du
Cheval gris et Obroutchev avaient trahi. La brise apporta du large le souffle
court des canons.
    À côté des petites affiches blanches annonçant les rations
gratuites des enfants, parurent de brefs placards signés du chef de la défense
intérieure. Hors la loi, sous peine de mort, sera fusillé sans jugement. La
mort s’insinuait dans toutes les demeures. Des hommes se voûtaient devant ces
placards frais, sentant s’abaisser lentement vers eux des fusils. Le commandant
de la place, entouré de téléphones, appelait au rapport son sous-chef d’état-major.
Le camarade Valérian, moustache poivrée coupée à l’américaine, nez charnu, chevelure
en brosse, plantait un regard franc dans les yeux du commandant, « assez
malin tout de même, pour un ancien tourneur promu sous-officier après quinze
mois de front », et récitait :
    – Deux cuirassés répondent au tir du front. Les
bataillons communistes sont consignés. Les Comités de Trois et de Cinq des
services d’évacuation et de destruction siègent en permanence. L’usine d’aviation
peut être détruite en sept heures. Je surveillerai cette opération moi-même…
    Un pli portant les cachets rouges de la Commission
extraordinaire centrale apporta les renseignements les plus graves. L’organisation
contre-révolutionnaire du Centre-Droit pouvait compter dans la ville sur cent
quarante-six affidés répartis en groupes de cinq, et un millier de
sympathisants sûrs. Ces forces pouvaient être mobilisées en une nuit. D’après
un plan, marqué de cercles bleus, saisi au cours d’une perquisition à Moscou, l’organisation
projetait d’occuper à l’intérieur, au moment où les Blancs menaceraient
directement la ville, une vingtaine de points stratégiques. Le Comité régional
du Centre-Droit devait être présidé par un homme âgé, surnommé le Professeur, peut-être
professeur en réalité (étudier les milieux universitaires et l’ancienne
Académie de théologie). Une lettre interceptée faisait supposer qu’un émissaire
arrivé du Midi avec des messages importants se trouvait encore dans la ville.
    Le dossier 42, affaire du Centre-Droit, se trouvait entre
les mains de la camarade Zvéréva, petite femme assez laide, toujours bien
habillée, placée sous le contrôle des membres de la Commission extraordinaire
Térentiev et Arkadi. Comme, à deux heures du matin, Zvéréva se dévêtait à sa
coutume devant la glace, caressant elle-même ses seins mous avec un sourire
égaré, la sonnerie du téléphone posé sur sa table de nuit retentit longuement.
    – Allo ! À l’appareil, le président. Vous

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