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Ville conquise

Ville conquise

Titel: Ville conquise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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bouche aux lèvres fortes, une intelligence
aiguë dans le regard, un port de tête de conducteur d’hommes, une certitude
intérieure que les myopes pouvaient prendre pour du vieil orgueil ; et
dans le rire un masque méphistophélique assez trompeur, car cet homme gardait
une capacité de joie d’adolescent pour qui la vie est toute à conquérir. Ils
rirent de leurs propres portraits.
    – Pourvu, dit l’un, que nous vivions assez pour en
arrêter l’impression !
    – Souhaitons, dit l’autre, de vivre assez pour n’être
point béatifiés !
    Ils savaient qu’on ne retourne pas le monde sans s’appuyer
sur les plus vieilles roches.
    Le sort de la ville se décide entre eux. Qu’est-ce qu’une
ville, même celle-là ! Le front sud importe davantage. C’est ici qu’il
faut tenir : garder l’arsenal de Toula, la capitale centrale, les clefs de
la Volga et de l’Oural, le foyer de la révolution. Gagner encore du temps, même
en cédant du terrain. Concentrer les forces. Rien ne sera perdu après ce coup
très dur. On peut évacuer la ville puisque la situation devient intenable. L’ennemi
ne pourra pas la nourrir. Ce sera un brandon de discorde entre les Blancs et
leurs alliés. Déjà l’un de ces hommes, celui que caractérise la plus grande
prudence dans l’exécution du dessein conçu par la plus grande audace, s’apprête
à ramasser dans une défaite acceptée des armes nouvelles.
    L’autre penche de coutume pour les solutions de l’énergie. La
meilleure défense est dans l’offensive. Deux cent mille prolétaires, même à
bout de force, doivent pouvoir tenir contre une armée dix fois moins nombreuse
qui leur apporte le joug. Deux cent mille prolétaires peuvent être une masse
amorphe vouée à l’esclavage, une foule en marche vers quelque immense victoire
ou quelque horrible défaite, une force invincible et inexorable plus forte que
les vieilles armées, capable elle-même d’enfanter des armées passionnées. Une
conscience obscure transforme les foules soumises en foules rebelles ; une
conscience nette éveille la masse à l’organisation et suscite plus tard les
armées. Il n’y faut qu’un ferment humain.
    La thèse de la résistance l’emporte. Le chef de l’armée
secoue sa crinière noire. Un éclair railleur voile dans ses lorgnons le regard
préoccupé. Le pli de sa bouche se détend.
    – J’envoie les Bachkirs !
    Le rire des deux hommes déconcerte un instant le conseil. C’est
une trouvaille, cette cavalerie des steppes jetée sur Helsingfors si la
Finlande bronche ! (Autre chose est de savoir ce qu’ils valent au feu, les
Bachkirs…) Il va couler des flots d’encre en Occident. Pas mal. Manœuvrer la
presse de l’ennemi est un avantage.
    – En la prenant par la bêtise, l’effet est certain.
    – Je la prends par la bêtise, l’exotisme et la frousse.
    Des bataillons gris s’écoulaient par les rues des
faubourgs. Trois mille têtes silencieuses rangées sous les larges colonnes
blanches du palais de Tauride écoutaient Trotsky scander, ainsi qu’un anathème,
la menace de la révolution. Cette menace gagnerait demain de proche en proche, au
pays des lacs blancs et des bois pensifs ; elle pénétrerait, mauvaise
ombre, dans les jolies maisonnettes d’un peuple blond, au teint clair, fier de
sa propreté, de son bien-être, de ses jeunes filles qui font de l’aviron et
lisent Knut Hamsun, d’être le plus policé du globe et d’avoir noyé sa commune
dans le sang.
    – La route qui mène de Helsingfors à cette ville mène
aussi de cette ville à Helsingfors !
    Trois mille paires de mains applaudissent, car c’est
retourner la chance, transformer le péril en puissance. L’homme qui lève la
main pour frapper se sent plus fort que celui qui lève la main pour parer.
    – Nous nous sommes tus, bourgeoisie de Finlande, quand
tu vendais ton pays à l’étranger. Nous nous sommes tus quand tes aviateurs nous
bombardaient. Nous nous sommes tus quand tu massacrais nos frères. La coupe est
pleine !
    Pleine, oui, chacun le sentait dans cette fournaise obscure
où les fronts indistincts se chargeaient d’une nouvelle colère.
    – Eh bien ! frappe ! Ose-le ! Nous t’annonçons
l’extermination. Nous massons à tes portes la 1 re division bachkire…
    Qu’un jeune peuple des steppes venge ses morts de l’Oural et
les morts de toutes les communes assassinées sur les négociants bien rasés qui
négocient depuis des mois notre

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