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Ville conquise

Ville conquise

Titel: Ville conquise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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dire :
    – Citoyens, la visite est finie.

Chapitre dix-neuvième.
    De quoi se fait un dénouement ? Mille faits comprenant
à leur tour un million de faits moindres se totalisent tout à coup sans que
personne sache comment ; la vague d’assaut qui avançait confiante est
rompue par des mitrailleuses qu’elle s’attendait à emporter sans peine la
veille et l’avant-veille ; des hommes qui fuyaient se retournent, ne
fuient plus, se devinent terribles, reprennent de l’élan ; ceux qui les
poursuivaient s’arrêtent éreintés, se devinent à bout de forces, se retournent,
fuient.
    Les ouvriers de la Grande-Usine travaillèrent dans la
grisaille, faute d’électricité, à monter des pièces d’artillerie sur des
chariots de tramways, pour la bataille de rues. Les ouvriers des usines d’ Ijorsk
et de Schlusselbourg se formèrent en bataillons de volontaires. C’étaient des
tuberculeux, des myopes, des hommes usés de quarante-cinq ans, soldats de
piètre mine en pardessus râpés qui fendaient la bise courbés sous le poids des
cartouchières, les épaules tombantes. Beaucoup tombèrent dans les champs boueux
de Poulkovo et de Ligovo ; mais la vue des officiers habillés à l’anglaise,
qui allaient élégamment au feu, le revolver au poing, les rendait enragés. Les
Bachkirs se sauvèrent sur un point et s’acharnèrent à tenir sur un autre. Les bataillons
sibériens se battirent avec un sérieux ennuyé, comme ils eussent travaillé à
quelque grosse besogne déplaisante. Rude besogne que de tuer des hommes, tout
en s’efforçant de n’être pas tué soi-même, convenez-en ; mais plus tôt
finie, plus tôt l’on rentrera chez soi, ce qui est le vrai but, car la terre
attend. Elle n’attend pas toujours, elle prend aussi sur l’heure celui dont la
face attentive dépasse de quinze centimètres, sous un angle imprévu, les lignes
de protection d’un tronc d’arbre.
    Il y eut aussi, pour les sous-titres des gazettes, l’héroïsme
des marins. Ils allaient au feu avec un entrain ! comme à une fête ! tous
ces valseurs de faubourgs portant des noms de femmes, des cœurs et des chignons
tatoués sur le sein. Un cent se firent pourtant porter malades avant le combat ;
et l’on en coffra la moitié, de vrais malades du reste pour la plupart – mais
par hasard – au titre de simulateurs. Les blessures de la main et du pied, nombreuses
dans les premiers engagements, se raréfièrent après des exécutions sommaires
pour l’exemple. N’importe, les marins firent merveille, car ils eussent payé
cher une défaite. Le sang des amiraux et des capitaines « passés à gauche »
pour satisfaire l’esprit de justice de la flotte, se révéla viatique précieux. Il
arriva que le chef de toutes les armées de la République, grand politique mais
assez mauvais cavalier, enfourchât une monture de hasard pour ramener lui-même
au feu des fuyards débandés, stupéfaits de voir surgir parmi eux l’homme redoutable
et sûr des portraits partout placardés, bizarrement ressemblant à lui-même, extraordinairement
naturel, mais plus grand que nature. On le voyait, on l’entendait crier ; il
désignait d’un grand geste énergique le petit bois criblé d’explosions d’où l’on
fuyait ; un petit bois pas plus terrible qu’un autre en vérité. Pourquoi
fuyait-on, pourquoi, au fait ? Les fuyards repartirent en sens inverse
avec des hourrahs de charge. Le chef s’épongeait le front. Ouf ! Il avait
failli perdre ses lorgnons. Derrière le petit bois sonore que reprirent ainsi
des gars râblés de Kalouga au parler traînant en a, il y avait, première
version, la meilleure troupe du prince Bermont, équipée à l’allemande, et que l’on
culbuta ; selon la seconde version, il n’y avait rien, l’ennemi ayant
décampé à temps de son côté ; selon la troisième version, le petit bois n’était
qu’un rideau d’arbres ; selon la quatrième, imaginée dix ans après, le
petit bois n’existait pas et rien de semblable ne se passa.
    La ville se hérissait de barricades faites de gros blindages,
de pavés, de stocks de bois et placées de manière à prendre les principales
artères en enfilade. Des canons perfidement enfoncés dans des trous pointaient
leurs museaux au ras de la chaussée. D’autres se cachaient derrière les grilles
des jardins. Un ancien bazar vide, les fenêtres remplies de sacs de sable, s’apprêtait
à soutenir un long siège. Des tranchées creusées par

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