Voyage en Germanie
d’Helena Justina ! expliqua-t-il, tel un joueur qui vient de faire un double six avec des dés pipés.
C’était une nouveauté pour moi. Il s’en rendit compte.
Je réprimai difficilement ma réaction spontanée, qui consistait à balancer dans son menton artistement rasé un poing qui défoncerait sa superbe denture et fracasserait son crâne impérial.
— Bon voyage en Germanie !
Titus réprima son sourire triomphant. Mais ce fut à ce moment-là que je me forçai à accepter la piteuse situation dans laquelle Helena et moi nous trouvions. Si pour elle les circonstances étaient devenues délicates, pour moi elles se révélaient carrément dangereuses. Et quelle que soit la mission minable vers laquelle on m’expédiait cette fois, Titus César se réjouirait plus que tout autre de me voir échouer avant son terme.
C’était le fils de l’empereur. Il y avait quantité de choses qu’il pouvait faire pour s’assurer qu’une fois qu’il m’aurait dépêché hors de Rome, je n’y revienne pas.
7
Perdu dans mes pensées moroses, je me laissai guider dans les bureaux parfumés de trois hauts fonctionnaires successifs.
Je ne suis pas complètement abruti. Après dix ans d’une vie amoureuse que je qualifiais de prospère, la date d’anniversaire d’une nouvelle petite amie était un détail que je pensais découvrir vite. J’avais posé la question à Helena : elle l’avait éludée d’un rire. J’avais asticoté son père, mais n’ayant pas sous la main la liste des fêtes de famille que lui dressait sa secrétaire, il avait habilement évincé la question. La mère aurait pu me renseigner, mais Julia Justa connaissait de meilleures manières de se tracasser qu’en discutant de sa fille avec moi. J’étais allé jusqu’à passer des heures dans le bureau du Censeur pour y rechercher le certificat de naissance d’Helena. Peine perdue. Soit le sénateur, pris de panique à l’arrivée de sa première-née – on le comprenait –, avait oublié de la déclarer en bonne et due forme, soit il l’avait trouvée au pied d’un laurier et n’avait pu lui donner le titre de citoyenne romaine.
Une chose était sûre : je m’étais rendu coupable de sacrilège domestique. Helena Justina était peut-être décidée à passer sur quantité d’outrages, mais que j’aille traînasser à Veii le jour de son anniversaire n’entrait pas dans la liste. Le fait que je n’aie pas su qu’il s’agissait de son anniversaire ne constituait nullement une excuse. J’aurais dû le savoir.
— Didius Falco, César…
Je n’étais pas encore prêt à me concentrer sur des questions politiques que, déjà, un major-domo puant la vanité confite et les oignons frits annonçait mon nom à l’empereur.
— En voilà une mine. Que se passe-t-il, Falco ?
— Problème de femme, avouai-je.
Vespasien aimait rire. Rejetant sa belle tête en arrière, il s’esclaffa.
— Tu veux un conseil ?
— Merci bien, César. (Je lui adressai un grand sourire.) Au moins la douce ne s’est-elle pas sauvée avec ma bourse, ni enfuie avec mon meilleur ami…
Nous marquâmes un court instant de silence, comme si l’empereur venait de se souvenir avec désapprobation qui était ma dernière douce en date.
Vespasien Auguste était un bourgeois charnu aux manières pragmatiques, qui avait accédé au pouvoir au terme d’une mauvaise guerre civile, pour ensuite entreprendre de prouver que les hommes dépourvus d’ancêtres illustres pouvaient toutefois être dotés d’un talent pour gouverner. Son fils Titus et lui y réussissaient… ce qui garantissait que les snobs du Sénat ne les accepteraient jamais. Cela faisait pourtant soixante ans que Vespasien se démenait – trop longtemps pour s’attendre à une reconnaissance facile, quand bien même il était vêtu de pourpre.
— Tu n’as pas l’air pressé d’entendre parler de ta mission, Falco.
— Je sais bien que ça ne servirait à rien.
— C’est normal. (Vespasien poussa un léger soupir, puis s’adressa à un esclave :) Voyons Canidius, à présent.
Je ne pris même pas la peine de me demander qui était Canidius. S’il travaillait ici, alors je ne l’appréciais pas assez pour m’en soucier. L’empereur me fit signe d’approcher.
— Que sais-tu de la Germanie ?
J’ouvris la bouche pour lancer : « Désastre ! », puis me ravisai, ledit désastre étant l’œuvre des propres partisans de Vespasien.
Géographiquement parlant, ce que
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