Voyage en Germanie
éclaireur-interprète. Il se plaignait beaucoup. Nous étions mécontents nous aussi, surtout de lui, mais je décrétai que nous devions tous le ménager. Il fallait qu’il nous croie compatissants si nous voulions pouvoir lui faire confiance en tant que guide.
Nous passions nos journées à nous entraîner, et rangions cela sous la rubrique des loisirs ; c’était la meilleure façon de donner le change. Mais nous savions tous que nous travaillions à nous endurcir le corps et nous préparer l’esprit à une aventure qui risquait d’être notre fin.
À cette heure, Camillus Justinus m’avait avoué qu’il avait obtenu de son commandant l’autorisation de nous accompagner jusqu’au bout. Je ne fis aucune remarque. Son légat pensait sans doute que ce garçon travaillait trop ; l’un comme l’autre, ils considéraient probablement cette expédition comme une faveur récompensant l’esprit d’initiative.
— Moi qui me demandais comment nous avions réussi à obtenir ce somptueux convoi d’équipement ! Ainsi, nous le devons à ton honorable présence… Je suppose que tu n’en as rien dit à Helena ?
— Non. Tu crois qu’elle a compris ?
— Que ce soit le cas ou pas, tu ferais mieux de lui écrire de Vetera.
— Je n’y manquerai pas. Sinon elle ne me pardonnera pas.
— Plus précisément, Justinus, c’est à moi qu’elle ne pardonnera pas.
— Va-t-elle penser que tu m’as encouragé ?
— Probablement. Et le fait que nous courions tous deux des risques ne va pas lui plaire.
— Elle avait l’air de se faire beaucoup de souci pour toi, reprit le jeune homme – à propos de cette visite à la sorcière de la forêt, j’entends. Sa réaction était-elle due à une expérience préalable ?
— Ta sœur sait que quiconque affirmerait que je puisse succomber à Veleda serait un menteur !
Ma colère sembla interloquer Justinus. Au bout d’un moment, je soupirai :
— Voyons, tu connais la méthode traditionnelle pour négocier avec une beauté fatale ennemie.
— J’ai dû manquer ce passage-là de la conférence sur la stratégie, répondit le jeune homme d’un ton passablement sec.
— Eh bien ! tu la mets dans ton lit et tu lui octroies une nuit de plaisir comme jamais elle n’en a connue. Le lendemain matin, grâce à ton splendide équipement et ta technique hors pair, elle fond en larmes et te dit tout.
— Ta nièce dit vrai, Falco, tu inventes des choses.
— Ce n’est qu’un mythe.
— Ça t’est déjà arrivé ? Par le passé, bien entendu, ajouta-t-il par respect pour sa sœur.
— Ha ! La plupart des femmes que je connais s’écrieraient : « Dégage, crétin, et remballe ton équipement de minus ! », répondis-je avec une modestie prudente.
— Dans ce cas, pourquoi ma sœur se fait-elle du souci ?
— Le mythe, répondis-je, est profondément ancré. Pense à Cléopâtre, à Sophonisbe…
— Sophonisbe ?
— Fille d’Hasdrubal et femme du roi des Numides. Tristement célèbre pour sa beauté. (Je soupirai à nouveau. Cette fois, c’était un soupir de vieil homme.) Combien de temps a-t-on perdu à t’instruire ? Les guerres puniques, fiston, Scipion, ça te dit quelque chose ?
— Pour ça, je n’ai jamais entendu raconter que le puissant Scipion ait tombé les princesses carthaginoises !
— Tout juste. Scipion était un général avisé.
Et sans doute un bon puritain de Romain.
— Et alors ?
— Il fit en sorte de ne jamais avoir à la rencontrer. Et dépêcha son lieutenant, Masinissa, dans la tente de la beauté.
— Sacré veinard de Masinissa.
— Peut-être. Masinissa tomba si éperdument amoureux qu’il épousa la princesse.
— Mais son mari à elle ?
— Simple détail. Masinissa était amoureux.
Justinus se mit à rire.
— La princesse se rangea-t-elle de notre côté ?
— Non. Scipion se douta qu’au contraire elle allait retourner Masinissa, et s’entretint au calme avec son lieutenant. Masinissa éclata en larmes, se retira sous sa tente, puis envoya à sa douce une coupe de poison. Le message qui accompagnait son envoi expliquait qu’il aurait souhaité remplir ses devoirs de mari, mais que ses amis s’efforçaient de l’en dissuader ; aussi joignait-il un moyen qui éviterait à Sophonisbe d’être traînée à Rome sous des fers de captive.
— Je suppose qu’heureusement pour l’histoire, elle lampa le poison, et que Masinissa se racheta…
C’était là une réponse de gamin.
Helena m’avait lu un
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