Voyage en Germanie
d’une sorte de gruau gluant.
Sans prêter attention à mes propos, elle sortit d’un pas pesant. J’affirmai que je préférais les femmes qui ne se font pas trop remarquer. Le petit déjeuner était une expérience telle que chacun devrait en vivre une fois dans sa vie, afin de bien savoir par la suite que, quoi qu’on pioche dans une poêle, ça pourrait être pire.
Cette branche-là des Bructères se composait de lève-tard. Nous nous trouvions dans un petit hameau endormi qui se serait prêté idéalement à une convalescence, si les gens nous avaient témoigné plus de chaleur. En fin de matinée seulement, nous parvint l’écho de quelque activité.
— À vos marques, les gars, il se passe quelque chose…
Postés derrière le volet, nous constatâmes que des estafettes avaient été renvoyées jusqu’à notre camp pour le piller.
Helvetius et moi écartâmes les autres pour nous installer le temps de faire le décompte de nos effets et montures.
— Je compte six chevaux et une tente qui manquent…
— Plus le coffre de monnaie, les javelines…
— Sans doute quelques rations, et l’équipement personnel du tribun…
— Oh ! il fera son chemin ! murmura Helvetius avec fierté. C’est un sacré garçon, par Mithras !
Les apparences semblaient indiquer que Camillus Justinus allait au moins être en mesure de rendre compte à Rome de la façon dont les Bructères nous avaient capturés : il avait des vivres, des chevaux, et un compagnon en la personne d’Orosius. Les guerriers barbares n’étaient plus sur la défensive maintenant qu’ils nous détenaient, ils ne surveilleraient pas les alentours. Le tribun devait pouvoir s’enfuir. C’était le mieux que nous puissions espérer. Que pouvions-nous attendre d’autre de la part d’un jeune officier de noble éducation, secondé par une recrue passablement abrutie ?
Normalement, quelque chose d’idiot – d’après Helvetius.
L’arrivée des chevaux marqua un changement pour nous. Le bon aspect en fut que nous allions dire adieu à notre étable puante ; les mauvais côtés, que nous abandonnions nos effets derrière nous, qu’Ascanius perdait toute chance de courtiser la fille de la bouillie, et que les Bructères se déplaçaient à cheval… nos chevaux. Ils nous faisaient courir à côté, à pied. C’étaient des cavaliers véloces. Et l’endroit où ils nous amenaient, où qu’il soit, se révéla à plusieurs jours de distance.
— Voyons les choses avec optimisme : nous allons vers l’ouest, en tout cas. Ils pourraient nous conduire encore plus avant vers l’intérieur… Chaque kilomètre parcouru nous rapproche des nôtres.
— C’est loin d’ici Rome, Falco ?
— Par Jupiter, ne me demande pas !
Sitôt que les Bructères se lassèrent de nous mener tel un troupeau d’oies avec force sifflements énervants et coups répétés de bâtons épineux, nous nous rangeâmes en formation classique et leur montrâmes comment marchent les bâtisseurs d’empires. Nos gars eux-mêmes étaient tout à coup pénétrés du sens de l’ordre. Je m’inquiétais pour le serviteur du centurion, mais il s’avéra qu’au bout de vingt ans dans l’armée, il était non seulement capable de faire défiler des kilomètres sous ses semelles, mais qu’il arrivait à se plaindre en même temps.
Nous allâmes jusqu’à chanter. Nous inventâmes un petit air de marche dont les paroles commençaient par : « Oh ! que j’aime ma gamelle avec mon nom gravé dessous… », après quoi les couplets suivants détaillaient les nombreux articles d’une panoplie de légionnaire – il y a amplement le choix –, pour arriver finalement à la petite amie, après quoi la forme restait la même, mais nous ajoutions quelques obscénités en contrepoint. Les gars adorèrent. Ils n’avaient encore jamais inventé leur chanson.
— Ça, c’est une super aventure, Falco, hein ?
— Et comment : marécages, forêts, fantômes, clairières pleines de crânes, crasse, trouille et ventre vide ; et tout le monde finit esclave…
— Moi, ce que je crois, centurion, c’est que les gens qu’on en parle jamais vont venir à la rescousse. Qu’est-ce t’en dis, toi, centurion ?
Helvetius donna son avis en un mot. Scatologique.
Je répondis qu’à supposer que ceux dont nous ne parlions jamais aient fait ce qui s’imposait raisonnablement, et détalé en direction des nôtres aussi vite que leurs chevaux pouvaient galoper, j’étais prêt à
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