Voyage en Germanie
envisager des suggestions concernant notre propre rescousse. Personne n’en formula.
Nous chantâmes encore trente couplets de l’air de la gamelle, histoire de faire croire aux Bructères à cheveux roux qu’ils n’arriveraient jamais à faire perdre courage à des Romains. Ainsi, les pieds gonflés d’ampoules et nos inquiétudes aussi bien dissimulées que possible, nous arrivâmes dans une grande clairière sur la beige, où d’autres Bructères étaient assemblés près d’une tour singulièrement haute.
Au pied, dans quelques jolies petites maisons de torchis, vivait un groupe de guerriers efflanqués qui avaient trouvé le moyen de se dénicher de sacrées quantités de bracelets en or et fibules ornées de pierres. Cette bande miteuse ressemblait aux voleurs de chevaux qui vivent dans les marais pontins et tirent leur subsistance de la fabrication de pots à anses martelés. Ils avaient le regard aussi fuyant que je l’avais entendu dire, pourtant chaque homme du groupe possédait un superbe torque, une ceinture ornée de beaux émaux, et divers poignards en argent ou bronze. Contrairement à tous les autres, ils portaient plusieurs couches de vêtements et des bottes surdimensionnées. Ils élevaient de très jolis chiens de chasse en guise d’animaux domestiques, et le dernier modèle de chariot couvert était garé en évidence devant leur enclos.
Ce groupe d’hommes maigres, au long menton, n’était pas intimidant : leur pouvoir à se faire offrir de riches présents devait tenir exclusivement à des relations. Lorsqu’ils réclamaient quelque chose en pleurnichant, personne ne pouvait regimber. Personne, parmi les Bructères, n’en avait envie. Car ces hommes étaient indubitablement membres de la famille de Veleda.
On nous ligota tous ensemble, en nous laissant toutefois la possibilité d’aller et venir.
Nous piquâmes droit sur l’endroit où la prophétesse devait habiter. J’aurais dû comprendre dès le départ. Depuis quand les tribus celtiques bâtissaient-elles de hautes tours ? Veleda s’était nichée dans un ancien poste de guet romain.
Quelques modifications avaient été apportées à cet édifice désormais ironique. La plate-forme du sommet, où se postait le guetteur et où l’on allumait les fanaux, existait encore, mais elle avait été surélevée un peu plus à l’aide de murs clayonnés, puis dotée d’un charmant petit toit de rondins. Le quasi renversement de l’Empire avait bel et bien été orchestré du haut de nos propres constructions. Nous nous détournâmes, écœurés.
Les affluents de la Lupia se jetaient dans le cours principal loin en amont, si bien qu’à ce niveau la rivière était assez large pour être navigable. Le long des berges, étaient amarrées diverses embarcations indigènes, au nombre desquelles bateaux à hauts flancs pourvus de voiles en cuir, houaris et coracles. Un navire beaucoup plus grand, largement plus important, était également au mouillage, l’air curieusement incongru. Nos gars le contemplaient, captivés, sans prêter attention aux cris des gardes, et ne cessaient de retourner dans sa direction, de se dévisser la tête pour le regarder. J’avais oublié que nombre d’entre eux étaient originaires de la côte adriatique.
— C’est un Liburne !
Les Liburne sont des navires de guerre légers, rapides, à double rang d’avirons, dérivés des bateaux pirates méditerranéens et très utilisés au sein de la flotte romaine. Celui-ci était orné d’une figure de proue à l’effigie de Neptune, et d’une élégante cabine à l’arrière. Il flottait, bien que la moitié des avirons aient été volés et que le gréement ait l’air sacrément emmêlé. Rien n’indiquait que la prêtresse l’entretienne en vue d’y donner des pique-niques aquatiques. Le navire devait traîner là depuis des mois.
— Ça doit être le vaisseau amiral que Petilius Cerialis s’est fait faucher sous le nez, lançai-je.
— Il est beau, nom d’un chien. Comment il a pu laisser faire un truc pareil, Falco ?
— Il était au lit avec sa chérie.
— Oh, Falco !
— Peu importe la négligence du général. Tout comme sa magnifique galère, on nous a sans doute amenés ici en guise de cadeaux à la prophétesse. Alors taisez-vous, restez ensemble, et tâchez d’ouvrir l’œil et de repérer les ennuis. Le dernier cadeau qu’ait reçu la dame, c’était un Romain vivant que personne n’a jamais revu. Ce pauvre
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