Voyage en Germanie
secondaient aurait ridiculisé les villas les plus confortables de la plupart des cités italiennes ; même les bâtiments du ravitaillement, vers lesquels Xanthus et moi nous dirigions, étaient impressionnants dans leur genre fruste et martial.
Nous débouchâmes de l’ombre froide de la voie d’accès qui franchissait les remparts. Les tours de guet de la poterne se dressaient au-dessus de nos têtes : il fallait d’abord franchir le périmètre ; vingt-cinq mètres de large tout le long des murs. Cette bande de terrain, conçue pour servir de protection contre les projectiles et permettre en outre un accès facile à tous les endroits du fort, restait scrupuleusement nue. Je me fis mentalement cette réflexion que la Quatorzième Gemina devait endosser la moitié du mérite de cet impeccable entretien domestique, bien que ses soldats abandonnent sans doute à leurs collègues moins prestigieux le soin de vider les bennes à ordures et de balayer les rues. Des faisceaux de javelots de secours étaient disposés le long des remparts, prêts à être empoignés, à côté de piles de munitions lourdes ou de traits pour balistes de guerre, mais on ne voyait là aucune bête errant de-ci de-là, ni ce fouillis de charrettes qu’on trouve d’ordinaire. Si les poulets sacrés se promenaient librement, ce n’était pas de ce côté-ci du fort.
Je remorquai le barbier jusqu’au-delà d’interminables rangées de baraquements : une cinquantaine d’alignements – je ne prétends pas avoir vraiment compté –, hébergeant chacun cent soixante hommes par groupes de dix, et dotés en leur extrémité d’un double jeu de quartiers réservés aux centurions. Un espace correct pour les légionnaires, complété de quartiers plus exigus alloués à leurs unités de réserve indigènes – ce qui pour l’heure ne s’appliquait pas à la Quatorzième, ses huit fameuses cohortes de Bataves étant passées à l’ennemi rebelle… Vespasien ne comptait pas les remplacer avant d’avoir reçu mon compte rendu.
Xanthus était déjà terrassé par l’environnement. Pour ma part, le fait de retomber face à ce spectacle connu me faisait à peine palpiter le cœur. À mes yeux, le fort dégageait une ambiance de mi-journée, de semi-vacuité. La plupart des soldats devaient être en manœuvres, ou en train de suer sur les corvées, pendant que d’autres abattaient les quinze kilomètres de leur marche mensuelle avec paquetage intégral. Une grande partie du reste des effectifs devait effectuer des patrouilles dans les environs, ce qui n’avait rien du simple exercice.
— Impressionné, Xanthus ? Attends que le camp se remplisse, ce soir ! Là tu auras l’occasion unique de côtoyer douze mille hommes qui savent tous exactement ce qu’ils font !
Il ne répondit pas.
— Tu te rends compte des possibilités que ça représente, douze mille mentons hérissés ?
— Douze mille haleines de bouc ! répliqua-t-il bravement. Douze mille variantes de la fille que j’ai calecée jeudi dernier. Et douze mille mises en garde, des fois que je sectionne autant de kystes !
Nous rejoignîmes l’artère principale.
— Au cas où tu te perdrais, Xanthus, tâche de te rappeler que cette rue est la plus importante. On l’appelle via Principalis. Elle fait trente mètres de large, même toi tu ne peux pas la rater. Repère-toi bien dès maintenant : la Principalis coupe le camp en deux en reliant les portes Senestre et Dextre, et croise la via Prætoria à angle droit à la hauteur du QG. Le quartier général est toujours orienté face à l’ennemi, comme ça tant qu’on voit dans quel sens les projectiles nous pleuvent dessus, on peut s’y retrouver dans n’importe quelle forteresse au monde…
— Où est l’ennemi ?
Le barbier était sonné.
— De l’autre côté du fleuve.
— Et le fleuve ?
— Par là ! (J’étais en train de perdre mon temps et de gaspiller ma salive.) Du côté où nous sommes entrés, lui rappelai-je, bien qu’il ait déjà l’esprit trop embrouillé.
— Et où est-ce qu’on va ?
— Se présenter aux gentils soldats de la Quatorzième Gemina.
Ce ne fut pas une réussite. Cela dit, je m’y étais préparé.
D’une part, aucune de mes enquêtes ne s’était jamais achevée si facilement que ça, et d’autre part, les légionnaires de la XIV Gemina n’avaient jamais été gentils.
17
Le quartier général de la forteresse était conçu pour intimider tout sauvage des tribus
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