Voyage en Germanie

sur ses épaules, comme si j’hésitais : la maintenir à distance ou la serrer contre moi. Mes doigts dégrafèrent machinalement. Helena feignit de vouloir s’arracher à mon étreinte. Cela nous amena en douceur jusqu’au lit.
    — N’aie pas peur, belle dame !
    — Je ne m’effraie pas si facilement.
    — Tu devrais…
    — Oh cesse donc de jouer les durs à cuire. (Helena en savait long à mon sujet, et ce qu’elle ne savait pas, elle le devinait.) Tu n’as rien d’un voyou, tu sais te montrer affectueux…
    Je me sentais tout à fait affectueux. Je me sentais même tellement affectueux que je n’avais plus rien d’autre en tête.
    Nous atterrîmes sur le lit. Je lui laissai l’initiative. Elle avait toujours aimé organiser. Ce soir-là, j’aimais tout ce qu’elle aimait. La journée avait suscité assez de problèmes comme ça. Maintenant qu’Helena Justina était dans mes bras, d’humeur on ne peut plus amicale, j’étais comblé, prêt à tout. Elle s’installait confortablement, écartant les draps, ôtant ses boucles d’oreilles, dénouant ses cheveux, puis éteignit la lampe…
    — Détends-toi, Marcus !
    Je me détendis. Je me détendis complètement. Tous les soucis qui tourmentaient mon cerveau surmené s’apaisèrent. J’attirai Helena encore plus près et poussai un profond soupir pendant que mes mains passaient lentement en revue ses courbes familières, se réappropriaient leurs secrets. Je la serrais, paupières closes dans mon bonheur. Puis je fis la seule chose qu’on puisse attendre d’un homme en pareille situation. Je m’endormis.

30
    Une grande partie de la nuit s’était écoulée. Je m’éveillai en sueur, comprenant ce qui avait dû arriver.
    — On a fait un bon petit somme ?
    Helena était pourtant encore là.
    — Tu m’as dit de me détendre… mais je suis réveillé maintenant, assurai-je en m’efforçant d’avoir l’air suggestif.
    Helena se contenta de me rire au nez, et nicha la tête au creux de mon épaule.
    — Par moments, quand j’essaie de t’apprivoiser, je me fais l’effet de Sisyphe poussant son rocher à flanc de montagne.
    Je ris à mon tour.
    — Pile au moment où il a hissé son caillou un poil plus haut que la fois précédente, il est pris d’une démangeaison terrible à l’épaule qu’il est obligé de gratter… je connais ça.
    — Toi, non, contra Helena. Tu trouverais toujours le moyen de glisser je ne sais quelle cale sous le rocher.
    J’aimais son extravagante confiance en moi.
    Je roulai brusquement sur moi-même, l’enlaçant dans une étreinte dominatrice. Puis au moment où elle se contractait, attendant quelque chose de brutal, je l’embrassai si doucement qu’elle en fut submergée.
    — Ma chérie, tu es la seule personne au monde qui n’a pas à s’inquiéter de m’apprivoiser.
    Je lui souris au plus profond des yeux. Elle les ferma. Par moments, elle avait horreur de me laisser voir ses sentiments. Je l’embrassai à nouveau, m’appliquant à parfaire l’instant en profondeur.
    Quand elle me regarda à nouveau, ses prunelles mordorées étaient emplies d’amour.
    — Pourquoi t’es-tu sauvé de la table du dîner, Marcus ?
    — Je déteste les histoires dans lesquelles de dangereux bandits retiennent en otage les femmes que j’aime.
    — Ah ! mais c’était un bandit au cœur tendre ! taquina-t-elle doucement.
    — Je parie que tu l’as embobiné.
    — J’ai une certaine expérience des gougnafiers qui se figurent tout savoir des femmes !
    Elle se moquait, mais son corps s’étirait sous le mien de façon si engageante que je ne pouvais guère me concentrer. Elle se figea.
    — Tu m’aimes vraiment ?
    — Oui, je t’aime.
    — Je t’ai manqué ?
    — Oui, mon amour…
    Et comme je m’attelais à la tâche agréable de lui démontrer à quel point elle m’avait manqué, elle murmura sur le ton de la protestation :
    — Il commence à faire jour, Marcus. Il faut que j’y aille.
    — Je ne crois pas que je vais te laisser partir…
    Son mécontentement se prolongea durant quelques secondes encore. J’insistai, lui donnant à comprendre que si elle voulait en rester là, la décision lui incombait. Puis elle oublia les convenances à respecter lorsqu’on est hébergé dans la maison de son propre frère, et de nouveau, fut tout à moi.

31
    Le jour contournait un solide volet d’Europe septentrionale pour atteindre l’agréable fouillis de mon lit. Nous n’avions pas dormi longtemps,