Voyage en Germanie
tout de suite !
Helena Justina savait me figer sur place quand elle le souhaitait : elle n’eut donc aucune difficulté à en faire autant avec une enfant de 8 ans. Ce fut pourtant la coupable qui demanda :
— Qu’est-ce que vous faites là ?
Cette grossière insolence semblait coutumière.
— On te fuit ! grondai-je, devinant qu’il devait s’agir de la créature malvenue que, peu auparavant, j’avais vue en train de ronfler dans la chambre d’Helena.
Je gagnai à grands pas le théâtre du crime et ramassai un morceau incurvé. Ulysse, doté d’une barbe rebiquant en pointe, s’y faisait aguicher par je ne sais quelle femme dont on distinguait la cheville appétissante, le reste ayant été sectionné.
Furieux, je fis volte-face et dévisageai la gamine : une vilaine petite figure à l’expression maussade, surmontée de cinq ou six nattes maigres ramassées au sommet du crâne à l’aide d’un lien de tissu. Je me creusai les méninges pour tâcher de me souvenir de quelle catastrophe ambulante il s’agissait là, et quel rapport cette gamine au ventre protubérant avait avec moi. Car elle était de ma famille, ça ne faisait aucun doute. Les dieux seuls savaient comment elle se retrouvait en Germanie supérieure, mais je reconnus un membre de l’excentrique clan des Didius avant même de l’entendre entonner son geignement :
— Moi je jouais, c’est tout… Il est tombé tout seul !
Elle m’arrivait à peine à la hanche et portait une tunique qui aurait dû être décente, mais dont elle avait réussi à coincer les pans si haut dans la ceinture qu’on lui voyait les fesses. Détail révélateur : je reconnus là son ascendance. Augustinilla. Un nom compliqué, une personnalité sans détours, d’une insolence éhontée. Cette gamine était la fille la plus fâcheuse de Victorina, la sœur que je détestais le plus.
Victorina, aînée de la famille et fléau de mon enfance, était ma pire honte sociale depuis. Enfant, ç’avait été une sale petite harpie au nez continuellement morveux, à qui sa culotte pendouillait toujours au ras d’une paire de genoux truffés de croûtes. Les mères du quartier interdisaient toutes à leurs enfants de jouer avec nous tant Victorina cognait dur. Victorina les obligeait quand même à jouer avec elle. En grandissant, elle ne joua plus qu’avec les garçons. Il en venait plein. Je n’ai jamais compris pourquoi.
De tous les sales gamins susceptibles de faire irruption en plein milieu de mes tendres retrouvailles avec Helena, il fallait que ce soit l’un des siens…
— Oncle Marcus, il a rien sur le dos !
La raison à cela était qu’avant de se précipiter à la porte, Helena avait plongé dans ma tunique à moi. Assortie d’un beau collier d’ambre, cela produisait un effet des plus incongrus, qui renforçait l’impression qu’une bacchanale venait de se dérouler dans ma chambre. La fillette tourna alors son regard accusateur vers Helena, mais elle eut la bonne idée de ne faire aucun commentaire. Sans doute Augustinilla avait-elle assisté depuis les premières loges au traitement qu’Helena Justina avait infligé au chef des bandits de la forêt.
Je pris une pose athlétique. Erreur. Faire reluire les muscles huilés d’un beau physique marche sans doute dans les stades écrasés de soleil à portée de nez de la Méditerranée, mais dans un couloir de maison obscur à mi-distance du nord de l’Europe, quand on est nu comme un ver, ne fait que réfrigérer le quidam. D’humeur sombre, j’attendis qu’Helena lâche la formule traditionnelle : « C’est ta nièce, c’est toi qui t’en occupes. »
Elle n’y manqua pas, sur quoi je lançai la traditionnelle réponse grossière.
Helena tâcha de dissimuler son agacement en présence de la fillette.
— Tu es à la tête de la famille Didius, Marcus !
— En théorie, sans plus.
Occuper cette position dans notre famille était une si terrible entreprise que le véritable tenant du titre, mon père, avait abandonné ses ancêtres et complètement changé d’identité pour fuir cette tâche épouvantable. J’écopai donc du rôle. Ce qui explique pourquoi, désormais, je ne parlais plus à mon directeur d’enchères de papa. Ceci explique peut-être même pourquoi je n’éprouvais pour ma part aucun scrupule à embrasser une profession méprisée par les trois quarts de Rome. J’avais l’habitude de me faire injurier et traiter par le mépris : ma famille
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