Voyage en Germanie
S’il avait déposé son balluchon ubien dans le palais de gouverneur de Londinium, cela se serait vite su à Rome et aurait pu faire du bruit.
Ayant remporté sa province, Petilius devait à présent espérer une promotion au rang de consul. C’était un parent de l’empereur – par les liens du mariage –, or tout le monde savait que dans ce domaine, l’empereur nourrissait des vues strictes et à l’ancienne. Vespasien entretenait lui-même une maîtresse de longue date maintenant qu’il était veuf, mais pour les gens qui attendaient de lui des promotions de carrière, il était hors de question de s’autoriser une telle liberté.
— Les Ubiens entretiennent-ils des rapports étroits avec les Bataves ?
Julius Mordanticus se convulsait d’embarras.
— Difficile de répondre. Certains alliés de Civilis ont très sévèrement puni les Ubiens de leur sympathie pro-romaine, mais en fin de compte, certains d’entre eux combattaient à ses côtés contre les Romains…
— Beau micmac ! Claudia Sacrata connaît-elle Civilis ?
— Ça se peut. Civilis a des parents qui habitent à Colonia Agrippinensium.
— Ce qui expliquerait que Gracilis soit allé la voir. Il sait que cette femme fréquente des sphères politiques élevées des deux camps, si bien qu’elle pourrait savoir où on peut trouver Civilis ?
— Peut-être.
— Autre hypothèse, lançai-je plus facétieusement : mécontent de la maîtresse officielle qu’il a amenée de Rome, notre bon légat Florius Gracilis s’en cherche une officieuse … or Claudia Sacrata fait l’affaire. Une liaison avec Claudia Sacrata fait peut-être partie des à-côtés traditionnels alloués aux porteurs de la toge pourpre postés en Germanie ? Peut-être leur remet-on l’adresse de la dame en même temps que le dossier de renseignements au moment de la nomination ? Du coup, une seule question subsiste, Mordanticus : n’étant moi-même qu’un misérable vermisseau, qui va me donner l’adresse de Claudia Sacrata ?
Le potier n’était pas disposé à faire le moindre commentaire sur le statut de la dame, mais il m’expliqua où la trouver. Du coup, une autre question subsistait : comment allais-je expliquer à Helena Justina que je m’absentais pour rendre visite à une courtisane de généraux ?
Quatrième partie
Croisière sur le Rhenus
De la Germanie supérieure à Vetera, octobre-novembre, 71 ap. J.-C.
« Leur commandant… fut sauvé grâce à une erreur commise par l’ennemi qui s’empara du vaisseau amiral et le hala en toute hâte, pensant que le commandant se trouvait à bord. En fait, Cerialis passa la nuit ailleurs (opinion communément admise à l’époque, en raison de sa liaison avec une femme ubienne du nom de Claudia Sacrata.) »
Tacite, Histoires
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Cela causa moins de tracas que je le craignais. Et ce, parce qu’Helena décréta qu’elle mourait d’envie de visiter Colonia Agrippinensium. Pour des raisons qui m’étaient propres, je n’émis aucune objection.
Mon espoir de connaître un peu de tranquillité avec Helena se trouva cependant compromis. Pour commencer, son frère insista pour que nous emmenions Augustinilla. Apparemment, il rechignait à se retrouver seul au fort avec une gamine raide enamourée.
Là-dessus, Xanthus se joignit avec enthousiasme à l’expédition. Il subissait encore un contrecoup sérieux à la suite de son meurtre. Cela l’avait amené à réfléchir gravement à la vie, disait-il. Il aimait la Germanie et avait envie de s’y établir : il y voyait quantité de débouchés pour ses talents de coiffeur. Moguntiacum était cependant trop militaire, aussi souhaitait-il voir une autre ville susceptible de ménager un accueil plus évolué à un ancien esclave impérial ambitieux. Je lui expliquai sans ambages qu’il ne pourrait pas m’accompagner plus loin que Colonia, mais il déclara que cela lui convenait.
Nous avions de surcroît le chien du tribun. L’animal avait mordu un armurier, si bien qu’il fallait l’emmener hors du fort au plus vite.
Au temps pour la douce croisière en tête à tête avec ma bien-aimée.
En dépit de la compagnie, voguer vers le nord à bord d’un vaisseau de la flotte officielle se révéla un plaisir : falaises abruptes et verts pâturages, petites jetées et pontons de villages, rochers à fleur d’eau, rapides, coteaux en terrasses sur lesquels la toute nouvelle industrie viticole installait ses vignobles qui produisaient des vins
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