Will
que
l’apparence des étranges cadeaux du baron annonçait un événement de grande
importance, les ondulations qui troublaient l’étang du temps et de l’existence
se feraient plus violentes, et elle parviendrait peut-être à apprendre quelque
chose sur qui ou quoi les avait provoquées.
Elle dormit et se leva tôt, reposée. La teinture d’herbes
avait rempli son office fortifiant et elle se sentait lucide, prête à agir.
Elle ranima le feu avec les charbons qui couvaient depuis la nuit précédente,
puis entreprit de se faire un peu de bouillie pour rompre le jeûne. Il faisait
encore sombre dehors ; le soleil serait long à se montrer. Elle alluma
donc quelques-unes des bougies d’argile qu’elle avait disséminées dans la
grotte, et bientôt l’intérieur rougeoya d’une douce lumière vacillante. Elle
avait apporté un peu de viande cuite avec elle, et décida de la réchauffer elle
aussi. Si tout se passait bien, elle aurait besoin d’un peu de réserves avant
de pouvoir manger de nouveau.
Après qu’elle eut mangé, Angharad sortit, s’agenouilla dans
la neige et, comme un soleil rose pâle se levait à l’est, leva les mains en une
prière matinale d’action de grâce, de conseils et de protection. Quand elle eut
fini, elle s’enfonça dans la grotte jusqu’à une alcôve, où elle ramassa le
paquet emballé qui s’y trouvait – sa harpe. Une fois revenue devant le
foyer, elle s’assit sur son tabouret à trois pieds et commença à jouer,
caressant les cordes, les accordant si nécessaire, échauffant des doigts qui
n’étaient plus aussi souples que jadis.
Au bout d’un moment, la musique commença à exercer son
antique magie. Angharad pouvait sentir son corps se relaxer tandis que son
esprit se laissait aller à la mélodie, comme une feuille dérive dans le courant
d’une rivière. Elle sentait tout autour d’elle les tourbillons du temps, comme
si de très petites ailes de papillon provoquaient de minuscules remous dans
l’air. Elle s’imaginait dans un large ruisseau paresseux, avec de l’eau
jusqu’aux cuisses, effleurant du bout des doigts la surface de l’eau pour
sentir chaque petite vague, chaque ondulation. Chacune d’entre elles, elle le
savait, se rapportait à un événement en Elfael ou au-delà.
C’était toujours le même dessin dans son esprit : une
large étendue d’eau mouvante, dense, d’une myriade de particules hasardeuses,
qui rougeoyait de temps à autre comme l’or pâle sous un coucher de soleil de la
couleur du bronze. Elle s’enfonça plus profond dans les remous chauds et sentit
l’eau monter autour d’elle, la surface glissante du fleuve s’écouler doucement
contre ses jambes et sa robe – la tête penchée d’un côté comme pour
écouter, le visage attentif mais calme.
Au bout d’un moment, ses mains s’échappèrent des cordes de
sa harpe et se frayèrent un chemin jusqu’à un petit pot qu’elle avait placé à
côté de son tabouret. Elle en tira une pincée d’herbe âcre et la lâcha dans les
flammes, tout comme Delyth l’avait fait si longtemps auparavant. La fumée
s’éleva aussitôt – une odeur pure, sèche, aromatique, qui parut aiguiser
sa vue et son toucher. Elle s’imaginait pouvoir sentir les ondulations plus
facilement maintenant que ses doigts jouaient parmi elles.
Elles étaient si nombreuses, si incroyablement nombreuses.
Elle se contracta sur elle-même pour voir combien il y en avait ; chacune
était raccordée d’une certaine façon à une autre, à beaucoup d’autres. Il était
impossible de savoir laquelle parmi toutes ces ondulations revêtait quelque
importance. Elle posa ses doigts sur les cordes et se mit à pincer la harpe de
plus belle, gardant dans son esprit une image de l’anneau et des gants,
exigeant du cours d’eau qu’il ne lui apporte que les ondulations dans
lesquelles l’anneau et les gants pouvaient être discernés.
Au prix d’une patience prodigieuse et d’une concentration
acharnée, le cours du fleuve parut enfin légèrement changer – comme quand
la marée, qui n’a cessé de monter, se met subitement à refluer. Cela arrive
sans crier gare mais le changement est certain, inexorable, profond. Le cours
du temps et de l’existence en est modifié aussi sûrement que la marée. Angharad
sentait l’attraction inéluctable des événements qui s’écoulaient autour
d’elle – certains précis et fixes, d’autres à moitié formés,
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