Will
qui a plutôt bien marché, dans l’ensemble. Sur un gars
moins rompu que moi aux usages de la forêt, ça aurait même été d’une efficacité
confondante. Moi, ça me brouillait juste un peu l’esprit. Iwan s’en est
probablement rendu compte au bout d’un moment, car quand nous sommes arrivés
devant un petit ruisseau, et après avoir bu quelques bonnes gorgées d’eau bien
fraîche, le géant a sorti un morceau de tissu de son carquois. « Désolé,
William, m’a-t-il dit en me le tendant. Tu dois te bander les yeux à présent.
— Si ça peut vous rassurer, vous et les vôtres, je le
ferai avec plaisir. Je laisserai même Siarles ici présent faire le nœud.
— Et comment ! » s’est écrié Siarles en se
positionnant derrière moi tandis que j’ajustais le tissu autour de ma tête.
Après avoir tout bien mis en place, il a tiré dessus d’un petit coup sec et
nous sommes repartis, plus lentement. Cette fois, Iwan marchait devant, moi le
bras sur son épaule, essayant de ne pas trébucher sur les racines et les
pierres tout en suivant le rythme de ses longues jambes. C’était plus difficile
que je l’aurais cru – essayez en pleine forêt, vous vous en rendrez compte
très vite. Au bout d’un moment, j’ai senti que le sol commençait à monter. La
pente était douce au début, mais elle est vite devenue plus abrupte. Le chant
des oiseaux venait d’assez haut, et d’un peu partout – les arbres devaient
être plus gros et plus espacés.
Une fois au sommet, nous nous sommes arrêtés sur une saillie
de pierre. « Et voilà, a dit Iwan en me prenant par les épaules et en me
faisant tourner plusieurs fois sur moi-même, on y est presque. Plus que
quelques pas. »
Il m’a fait tournoyer encore un peu, et Siarles a pris le
relais – dans l’autre sens – pour faire bonne mesure.
« Attention où tu marches, m’a-t-il susurré à l’oreille. Garde la tête
basse, ou tu risques de te cogner. » Il m’a appuyé sur la tête jusqu’à ce
que je me plie en deux, puis m’a fait passer entre deux arbres. Le chemin s’est
mis à descendre aussitôt après.
« Cél Craidd, a dit Iwan. Je prie pour que tout se
passe bien pour toi ici.
— Tu devrais prier toi aussi », a ajouté Siarles
sur un ton beaucoup moins amical. Il m’avait pris en grippe, je ne sais pas
pourquoi – peut-être parce que je m’étais moqué de son nom. Ou alors il
n’aimait pas la coupe de mes habits. Peu importe ce que c’était, il m’a fait
savoir qu’il me tenait en piètre estime. « Ne joue pas franc jeu avec nous
et ce sera le dernier endroit que tu verras jamais.
— Allons, allons, ai-je répondu, pas besoin d’être
désagréable. J’ai promis d’accepter mon sort et je m’y tiendrai, quoi qu’il
arrive. »
Siarles a enlevé mon bandeau et j’ai ouvert les yeux sur un
endroit plus étrange que tout ce que j’avais jamais vu : un village fait
de peaux et d’os, de branches et de pierres. Il y avait des cahutes basses aux
toits de fougère et de mousse, et d’autres correctement couvertes de
chaume ; certaines avaient des murs en clayonnage enduits de torchis, ou
bien fabriqués avec des brins de saule, de sorte que la hutte semblait avoir
été entièrement tricotée avec des brindilles, ses fentes bourrées avec de
l’herbe séchée ; cela donnait à l’endroit une apparence bizarre, crépue,
comme s’il avait porté une fourrure qui perdait ses poils. Si quelques-unes des
cahutes dans le centre du village étaient plus grandes et construites plus
sérieusement – avec du bois fendu et d’autres choses de ce genre –,
elles avaient aussi des toits de gazon, arboraient des ramures ou bien des
crânes de cerf ou de bœuf sur les côtés et au-dessus de la peau qui leur
servait de porte, donnant l’impression de quelque chose qui serait sorti du sol
de la forêt.
Si une tribu d’hommes verts avait bricolé un repaire à
partir d’écorce, de fougère et de toutes sortes de vieux rebuts de la forêt, ça
aurait ressemblé exactement à ça, ai-je pensé. Pour sûr, c’était un perchoir
digne du Roi Corbeau – exactement le genre d’endroit que le Seigneur de la
Forêt pourrait choisir.
Niché dans la cuvette peu profonde d’une clairière entourée
de gros chênes et de tilleuls, de frênes et d’ormes, Cél Craidd n’était pas
seulement protégé, mais parfaitement caché. Le bras tournant de l’arête formait
sur trois côtés une sorte de mur
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