Will
nous a fait dévier de notre trajectoire ? a
demandé Bran.
— Plus ou moins, a répondu le capitaine. Plus ou moins.
Mais nous allons bientôt pouvoir hisser les voiles. D’ici là, que vos hommes
s’occupent des chevaux. Déliez ces pauvres bêtes et donnez-leur un peu d’eau et
de nourriture. »
Pendant qu’Iwan et Siarles s’attelaient à la tâche, deux des
marins ont commencé à nous préparer un repas. Bran et moi les avons regardés
faire, lourdement appuyés contre le bastingage ; aucun de nous ne se
sentait d’humeur très sociable. « Quelle nuit, a soupiré Bran. Comment va
ta main ?
— Pas si mal, ai-je menti. Je ne la sens presque
plus. » Les yeux fixés sur la mer toujours remuante, j’ai demandé :
« Qu’allons-nous faire une fois arrivés à Rouen, pour peu que nous y
parvenions ?
— J’ai l’intention d’obtenir une audience avec William
le Rouge.
— En tant que Bran ap Brychan, seigneur de l’Elfael, ou
comme monseigneur Dominique ? »
Il m’a lancé son fameux sourire de travers. « Celui que
le roi acceptera de recevoir. C’est le message qui importe en la circonstance,
pas le messager.
— Cela mis à part, je commence à penser que nous sommes
fous de risquer nos cous à bord de ce navire en folie pour sauver un roi que
nous n’aimons pas plus que nous l’honorons. »
Il m’a considéré avec curiosité. « C’est bien toi qui
parles, Will ? C’était ton idée, après tout.
— Oui, mais, je ne pensais pas…
— Si tu as raison, ça vaut bien la peine de risquer un
royaume.
— De quel royaume parlez-vous, mon seigneur ?
Celui de William… ou le vôtre ? »
Nous avons discuté jusqu’à ce que Cinnia nous appelle pour
manger le peu que, pour reprendre une des taquineries bon enfant des marins,
nous étions capables d’avaler. Après notre repas, Ruprecht a ordonné à son
équipage de hisser les voiles. Le navire a alors commencé à se déplacer plus
calmement. Le mauvais temps s’étant calmé, nous avons atteint les côtes
françaises dans la soirée. Nous avons jeté l’ancre pour la nuit, puis remonté
la côte jusqu’à une ville baptisée Honfleur, dans l’estuaire d’un large fleuve
intérieur. Bien qu’une partie de nos provisions eût été endommagée par l’eau de
mer pendant la tempête, nous n’y avons pas fait halte, Ruprecht nous ayant
assuré que Rouen ne se trouvait qu’à une journée en amont, et que là-bas nous
pourrions trouver tout ce dont nous avions besoin à la moitié du prix pratiqué
par les négociants du port.
Nous avons donc repris notre route. La tempête que nous
avions essuyée en mer nous avait devancés, et prenait à présent ses quartiers
au-dessus des terres. C’est donc à travers une brume pluvieuse que nous avons
regardé les basses collines de Normandie passer lentement au-delà du
bastingage. Bien que nous ne puissions pas échapper à la pluie, le fleuve
restait calme, et nous appréciions de voir la terre à si faible distance de
chaque côté du navire. Je le confesse, ça me faisait étrange de me retrouver en
terre ennemie. Je ne cessais de m’étonner que personne n’essaye de nous
appréhender ou de nous attaquer d’une quelconque façon. Le navire a jeté
l’ancre au centre du courant pour la nuit, ne reprenant sa lente progression
qu’au lever du soleil. Comme promis, nous avons atteint la ville de Rouen au
matin et nous sommes amarrés au quai desservant la ville. Iwan et Siarles ont
apprêté les chevaux pendant que Bran s’entendait avec Ruprecht pour
approvisionner le bateau et attendre notre retour.
Ne nous arrêtant que pour demander notre direction aux
petites mains du port, nous avons donc repris notre route sous des cieux plus
cléments. Oh ! Qu’il était bon de retrouver la terre ferme, même si le
trajet jusqu’au palais de l’archevêque où, d’après ce qu’on nous avait dit, le
roi anglais était arrivé la veille, était tout sauf court.
« Voici comment nous allons procéder, a dit Bran comme
nous pénétrions dans la cour du palais. Si quiconque nous le demande, nous
sommes toujours des ambassadeurs du pape porteurs d’un message urgent pour le
roi.
— D’accord, a sèchement convenu Iwan, mais de quel
pape ?
— Prie pour que nous n’ayons pas à nous expliquer plus
avant, lui a répondu Bran. En tout cas, que personne ne parle à qui que ce
soit. Laissez Jago ici présent faire toute la conversation. » Il a posé
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