Will
exposé le plan qu’elle avait conçu.
— Ah oui ? » Je le taquine un peu. « Et
après ?
— Mais c’est tout ce que je sais ! » Il est
sur le point de me lancer son encrier au visage. « Vous vous êtes arrêté
là. Vous devez forcément vous rappeler ce qui est arrivé ensuite.
— Du calme, Odo. Tout n’est pas perdu. Relis-moi ce que
tu as écrit, et nous verrons bientôt si cela remue le pot. »
Odo s’applique à dérouler son petit morceau de parchemin et
débouche son encrier.
« Lis à haute voix, lui dis-je tandis qu’il entreprend
de lisser la peau de mouton sous ses paumes grassouillettes. Peut-être cela
m’aidera-t-il à me souvenir. »
J’écoute une fois encore la manière dont il resserre mes
paroles, pour leur donner une tournure monastique. Il les saigne à blanc, les
rend aussi grises et humides que la forêt en novembre. Tout compte fait, il en
tire la substantifique moelle et rend mes radotages plutôt digestes.
Ce que son satané supérieur au grand nez fait de tout cela,
je ne peux le dire.
«… la prisonnière lady Mérian a sollicité l’autorisation de
révéler le plan qu’elle avait conçu. Les rebelles se sont tus pour écouter ce
qu’elle avait à dire…» Il s’arrête là et lève des yeux impatients. « C’est
là où nous nous sommes arrêtés pour la nuit.
— Si tu le dis. » Je secoue lentement la tête.
C’est tout ce que je peux faire pour m’empêcher d’éclater de rire. « Mais
ma caboche est une tasse récurée ce matin. »
Odo fait la tronche, il grince des dents de frustration.
« Bon, alors, de quoi vous souvenez-vous ?
— Je me rappelle quelque chose…» Je marque une pause et
réfléchis un instant. Oh que oui, je m’en souviens. « Eh bien, moine,
quand le conseil a pris fin, je suis reparti à la hutte de Nóin…»
Nóin n’était pas dans sa cabane quand je suis revenu, pas
plus que Nia. Le conseil avait duré toute la matinée et elles étaient sorties
accomplir quelques corvées ; je suis donc parti les trouver pour les
aider. La neige recouvrait encore notre petit village de fortune, et le jour,
bien que radieux, était froid. La majorité de la volée déguenillée du Roi
Corbeau était en train de couper et de fendre du bois en vue des nombreux feux
dont nous avions besoin pour nous réchauffer. Je pouvais entendre leurs voix
résonner dans l’air piquant. Tandis qu’ils s’échinaient à remplir leurs paniers
et à emporter des fagots jusqu’aux huttes, ils pépiaient comme des oiseaux. Le
spectacle que j’avais sous les yeux, je l’avais vu à d’innombrables reprises
depuis mon arrivée à Cél Craidd, mais cette fois quelque chose avait changé.
Ça venait peut-être simplement du vieux Will Écarlate, mais
je voyais vraiment l’endroit d’une façon différente, et je n’aimais pas
beaucoup ça. Ça m’a mis de mauvaise humeur sans que je comprenne pourquoi.
Peut-être cela avait-il à voir avec les mauvaises nouvelles que je m’apprêtais
à leur donner.
Oh, c’était bien ça, évidemment, mais j’avais quand même
l’impression qu’il y avait autre chose.
Dans l’espoir de rendre la gorgée amère un peu plus facile à
avaler, j’ai arboré mon plus beau sourire pour paraître joyeux devant ma
bien-aimée. Mais mon cœur était lourd, aussi froid qu’une pierre dans un
ruisseau de montagne. Voyant Nóin pliée en deux pour ramasser une branche
brisée, je n’avais qu’une envie en cet instant, l’emmener loin de cet endroit,
de ses exigences, de ses devoirs, fuir ces bâtards normands et leur soif de
domination. Hélas, il n’y avait plus un seul lieu propice dans toute la
Bretagne. Ça m’a rendu triste, furieux, frustré tout à la fois, parce que je ne
savais que faire et craignais de ne rien y pouvoir.
J’ai ravalé ma déception et suis parti à grands pas en
direction de Nóin. « Là, mon amour, lui ai-je dit, laisse-moi donc porter
ce panier. Remplis-le bien, comme ça tu n’auras pas à revenir
aujourd’hui. »
Elle s’est retournée, tout sourire. « Ah, Will,
a-t-elle commencé, avant de voir sur mon visage quelque chose que j’étais
incapable de cacher. Qu’est-ce qu’il y a, mon amour ? »
Elle me regardait avec une telle tendresse inquiète, comment
pouvais-je le lui dire ?
« Le conseil a décidé…» À mes propres oreilles, ma voix
semblait sortir du fond d’un puits. « Nous avons pris une décision. »
Le sourire de
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