Will

Dites-moi seulement que vous avez
encore cette lettre.
    — Je l’ai.
    — Et l’avez-vous lue, mon père ?
    — Non point. Mais quelqu’un d’autre l’a fait.
    — J’espère que c’est un homme digne de confiance.
    — S’il ne l’était pas, je ne lui aurais pas confié
cette tâche.
    — Alors venez. » Il a posé une main sur l’épaule
de l’abbé et l’a forcé à se retourner. « Nous l’entendrons ensemble.
    — Vous êtes trempé jusqu’aux os ! a observé l’abbé
en ignorant la main de Bran. Je ne vais pas vous laisser vous ébrouer partout
dans mon abbaye. Restez ici et finissez votre soupe. Je vais apporter la lettre
ici. »
    Je commençais à vraiment apprécier cet abbé. C’était un
vieux chien franc du collier dont les aboiements dissimulaient le fait qu’il ne
mordait jamais. Bran a repris sa place sur le banc avec un sourire contrit.
« Il m’a connu tout jeune, m’a-t-il expliqué, quand il était sous les
ordres d’Asaph à Llanelli. »
    L’abbé est revenu alors que nous finissions notre soupe et
notre pain. Il apportait le carré de parchemin plié qu’il serrait fort dans ses
deux mains, comme s’il redoutait de le voir se tortiller pour s’échapper ;
il avait amené avec lui un moine entre deux âges, aux cheveux sombres, avec un
long visage, un nez proéminent et une peau de la couleur d’une bonne ale brune.
    « Voici frère Jago, a annoncé l’abbé. Il est né à Gênes
et a grandi à Marseille. Il parle ffreinc bien mieux que quiconque à l’abbaye.
C’est lui qui a lu la lettre. »
    Le svelte moine a incliné la tête en réponse aux paroles de
son supérieur. « Je suis heureux de servir. » J’ai discerné dans son
élocution un léger zézaiement que je n’avais jamais entendu jusqu’alors. Il
s’est tourné vers l’abbé, qui tenait encore le rouleau de parchemin. « Mon
père ? » a-t-il dit en tendant la main.
    L’abbé Daffyd a regardé la lettre, puis Bran. « Vous êtes
sûr de vouloir continuer ? »
    Bran a hoché la tête.
    L’abbé a froncé les sourcils. « Je ne serai pas
complice de tout ceci. Veuillez m’en excuser.
    — Je comprends, Monseigneur. C’est sans aucun doute
mieux ainsi. »
    Après avoir mis le paquet dans les mains de frère Jago,
l’abbé a pivoté sur lui-même et a quitté la pièce. Une fois la porte fermée,
Bran a adressé un signe de tête au moine. « Allez-y. »
    Jago a défait la ficelle bleue et a soigneusement déplié la
peau préparée. Il est resté un moment à la regarder, puis l’a posée sur la
table devant lui et, la tenant à bout de bras, a commencé à lire d’une voix
lente et assurée.
    « Moi, William, par la grâce de Dieu, baron de Bramber
et seigneur de Brienze, au très estimé révérend Guibert de Ravenna. Salutations
de Dieu, et que la paix du Christ, Notre Sauveur Éternel, soit toujours avec
vous. Pressés…» Jago a marqué une pause. « Ah, non, plutôt… poussés par la
foi, nous devons croire et soutenir que l’Église est une, sainte, catholique et
apostolique. Nous croyons fermement en Elle et confessons avec simplicité qu’en
dehors d’Elle il n’y a ni salut ni rémission des péchés et qu’Elle représente
un seul corps mystique dont la tête est le Christ et la tête du Christ est
Dieu. »
    Bien que nous ne comprenions pas grand-chose à ce qu’il
disait, la musicalité de son élocution nous incitait à nous approcher ;
comme il continuait à lire, nous nous sommes donc rassemblés autour de lui pour
mieux l’entendre.
    « Dans tous nos royaumes et toutes les terres qui
vivent sous notre autorité par la grâce de Dieu, nous vénérons cette Église
Une. Église qui n’a qu’un corps et une seule tête, et non pas deux têtes comme
quelque monstre ; à savoir le Christ et le vicaire du Christ, Pierre et le
successeur de Pierre, puisque le Seigneur en personne a parlé à Pierre et lui a
dit : “Nourris mes brebis”, voulant dire mes brebis en général, pas
celles-ci ou celles-là en particulier. De cela nous concluons qu’il nous a tous
confiés à ce même Pierre, en même temps qu’il lui a confié, et à lui seul, les
clés du Royaume…»
    Eh bien, je n’aurais jamais imaginé ça – ce maudit
baron de Braose prêchant ainsi à propos de la nature de l’Église et tout le
saint-frusquin – pour tout dire, cela dépassait l’entendement.
    «… Donc, si quiconque affirme ne pas être…» Jago