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1914 - Une guerre par accident

1914 - Une guerre par accident

Titel: 1914 - Une guerre par accident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges Ayache
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avait conclu Grey après l’avoir lu. En
juillet 1914, Crowe récidiva dans un sens encore plus alarmiste. Il
n’existait peut-être pas d’obligation contractuelle pesant sur l’Angleterre.
Pour autant, l’Entente existait, elle avait été renforcée, mise à l’épreuve et
même célébrée. Elle accréditait en tout cas la croyance d’un lien moral, d’un
devoir, d’un intérêt aussi.
    Significative était la conclusion du nouveau mémorandum de
Crowe : « La théorie suivant laquelle l’Angleterre ne peut pas s’engager
dans une grande guerre signifierait son abdication en tant qu’État indépendant [290] . »
    Pour Grey, il y avait une chose encore plus dramatique que
toutes ces réflexions. C’était ce qu’il ne pouvait reconnaître publiquement, y
compris devant le Parlement. Pas encore, pas ici.
    À la réunion de cabinet du matin, le chef de la diplomatie
avait introduit un nouvel élément dans la discussion : la question de la
neutralité de la Belgique. À sa question adressée la veille sur ce sujet à
Paris et à Berlin, seuls les Français avaient répondu positivement. Les
Allemands avaient fait la sourde oreille. Même Lichnowsky s’était fait pour une
fois discret.
    Churchill avait cru pouvoir sauter sur l’occasion :
    — Il ne faut pas tourner autour du pot ! C’est
pratiquement une déclaration d’intention. Nous devons décider la mobilisation
immédiate de la flotte [291]  !
    Soupirs affligés autour de la table. Winston et ses lubies
guerrières !
    Un débat de fond s’était pourtant engagé ce matin-là. Il
avait duré près de trois heures, Churchill en monopolisant plus de la moitié
pour plaider sa cause. Pour la première fois étaient apparues des lignes de
fracture inquiétantes au sein du cabinet. Grey laissait déjà entendre que, si
Londres maintenait sa neutralité, il pourrait bien donner sa démission.
    En réunion de cabinet, le Premier ministre Asquith restait
indécis. Il avait la hantise de la rupture, sachant que les interventionnistes
étaient très minoritaires, au gouvernement comme au-dehors. À l’extérieur, la
presse se déchaînait contre toute forme d’engagement, du Manchester Guardian ,
son chef de file, à la Nation en passant par le Daily News . En
toute logique, Asquith refusa au Premier Lord de l’Amirauté l’autorisation de
mobiliser la flotte :
    — Cela risquerait d’être considéré comme une mesure
incendiaire [292] …
    *
    Paul Cambon était devenu la mauvaise conscience d’Edward
Grey. Ce dernier était un peu dans la psychologie du débiteur scrupuleux envers
son créditeur. Ce n’était pas que l’Angleterre se sentît en quoi que ce soit
débitrice vis-à-vis de la France, mais elle s’était laissée aller à des gestes
qui lui revenaient à présent en boomerang.
    Parfois, rarement, Grey s’emportait devant l’ambassadeur
français :
    — Après tout, c’est la faute des Russes qui ont paru
provoquer la mobilisation allemande. Vous autres, Français, auriez dû les
calmer [293]  !
    Personne n’était dupe. Si le ralliement de l’Angleterre
était devenu l’obsession de la France, beaucoup en soupçonnaient la raison.
    Depuis des années, dans la logique de l’Entente cordiale,
les états-majors des deux côtés de la Manche avaient entamé des discussions
approfondies. Les militaires avaient poussé la concertation assez loin, au
point de préparer des plans en commun. Là-dessus, le général de brigade Henry
Wilson, qui commandait l’École de guerre britannique, avait fini par se lier
d’amitié avec son homologue français, le général Ferdinand Foch. Le
resserrement des liens militaires obligerait tôt ou tard les politiques.
    Côté français, l’évolution des choses tournait franchement à
l’aubaine. Côté anglais, on restait d’une prudence d’insulaire. On convenait
qu’il fallait tout de même un minimum de cohérence en toute chose. Soit,
l’Entente cordiale était un monument d’ambiguïté. Et, comme l’avait déjà dit en
son temps le cardinal de Bernis, « on ne sort jamais de l’ambiguïté qu’à
son détriment ». Pouvait-on cependant continuer à faire comme si l’Entente
avec la France n’était qu’un ornement sans importance sur la voie
traditionnelle du splendide isolement ? À l’heure où l’Allemagne se faisait
plus forte et plus menaçante, soulever la question revenait à y répondre.
     
    Edward Grey, lui, y avait répondu en multipliant

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