1914 - Une guerre par accident
n’ont rien à voir ici.
Vous voulez la guerre en fait !
— Nous sommes profondément pacifiques mais nous devons
mettre notre pays à l’abri de la révolution et notre dynastie à l’abri des
bombes.
— Vous, pacifiques ? Laissez-moi rire. Vous voulez
mettre le feu à l’Europe [140] …
Avec Pourtalès, qui était le type même du bureaucrate
prussien rigide, l’entrevue avait été encore plus expéditive. Excédé,
l’ambassadeur avait laissé échapper un cri du cœur :
— Vous n’aimez pas l’Autriche, Excellence. Vous êtes en
train d’empoisonner les dernières années d’un monarque vénérable.
C’en était trop pour Sazonov qui l’avait repris à la
volée :
— Non, nous n’aimons pas l’Autriche. Et alors !
Aurions-nous des raisons de l’aimer ? Quant à son monarque vénérable,
comme vous dites, il nous doit d’avoir conservé sa couronne. Nous a-t-il
témoigné la moindre reconnaissance en 1855, en 1878 ou en 1908 ? Nous
reprocher de ne pas aimer l’Autriche [141] !
À Belgrade, on n’avait pas connaissance de ces conversations
échauffées sur les bords de la Néva et cela valait mieux ainsi. Peu à peu,
Nikola Pasic avait imprimé sa vision des choses. Il était parvenu à faire
accepter à ses ministres huit des dix conditions imposées par Vienne. Avec
quelques nuances et atténuations ici ou là, peut-être, mais l’acceptation était
sans réserve. On avait néanmoins tiqué sur la neuvième condition qui concernait
la poursuite des coupables. De quelle preuve de culpabilité disposait-on, en
dehors des accusations péremptoires des Autrichiens ? Même sur ce point,
Pasic était partisan de ne pas ergoter.
Il restait tout de même la dixième condition, celle qui
exigeait la participation de fonctionnaires autrichiens à la recherche des
coupables sur le sol serbe. C’était une question de souveraineté, de dignité,
au plus haut niveau. L’argument était tellement fort qu’il était impensable que
la Serbie pût là encore céder. Pasic partageait cette opinion. Cette dixième
condition, c’était sa limite. Il demanda simplement aux rédacteurs de la
réponse serbe à l’ultimatum de ne pas invoquer les grands principes et de se
borner à mettre en avant l’incompatibilité avec la Constitution et avec le Code
pénal.
Paris, 24 juillet, 15 h 50
Les responsables du Quai d’Orsay étaient suspendus au
parcours de La France en mer Baltique. À bord du cuirassé
présidentiel, le ministre des Affaires étrangères et son directeur des Affaires
politiques, Pierre de Margerie, discutaient ferme. À cette heure, le navire
devait croiser quelque part au large des côtes suédoises.
Les communications n’étaient pas fameuses ni, du reste, très
sûres. C’est tout juste si Poincaré avait pu prendre connaissance, en début de
matinée, de l’existence de l’ultimatum autrichien. Il y avait vu la
confirmation de son pessimisme de l’avant-veille. Plus inquiétant encore, le
chef de l’État avait lu les télégrammes des frères Cambon. De Londres, Paul
Cambon, avait télégraphié la veille en soulignant que l’Allemagne ne s’opposerait
pas à une démarche autrichienne, quelle qu’elle soit. Poincaré s’était montré
sceptique :
— Ce n’est que du bluff, évidemment [142] …
Du bluff ? Dès le lendemain, Jules Cambon corroborait,
de Berlin, l’impression de son frère. À l’en croire, le conflit était devenu
inévitable. Tout le problème, désormais, était de faire en sorte qu’il reste
localisé. L’Allemagne était bel et bien en train d’amorcer un virage décisif.
À l’instigation de Poincaré, Viviani avait envoyé une salve
de dépêches à Saint-Pétersbourg, Londres et Belgrade, pressant la Serbie
d’accepter toutes les conditions autrichiennes. Du moins celles qui ne seraient
pas contraires à son honneur. Une prolongation du délai de réponse serbe à
l’ultimatum était souhaitable aux yeux de la France ainsi que la constitution
d’une commission internationale d’enquête sur l’assassinat de Sarajevo.
Les dernières évolutions étaient-elles suffisamment
menaçantes pour que Poincaré bouleverse son programme ? Après la Russie,
il était prévu que le président s’arrête successivement en Suède, en Norvège
puis au Danemark. Dès le lendemain se profilait l’étape de Stockholm. Poincaré
se garda bien de demander son avis à un Viviani nerveux et agité qui ne tenait
plus en
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