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1914 - Une guerre par accident

1914 - Une guerre par accident

Titel: 1914 - Une guerre par accident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges Ayache
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place. Ce dernier eût été à coup sûr partisan d’un retour au pays
sur-le-champ. Le président, lui, restait d’un calme marmoréen. Il se devait
d’incarner la sérénité et la force d’une France sûre d’elle-même. Il ne crut
donc pas devoir changer ses plans initiaux.
     
    En France même, certains commençaient tout de même à
s’inquiéter. Il n’y avait plus de gouvernement à Paris, plus de direction
diplomatique. Qui tenait encore le timon du navire ? Clemenceau n’avait
pas été le dernier à tirer la sonnette d’alarme. Quelques jours auparavant, il
avait donné un article au vitriol dans lequel il écrivait :
    « Le fait le plus notable est que nous n’avons pas même
l’apparence d’un gouvernement à l’heure même où nous aurions le plus besoin
d’avoir à notre tête un homme de jugement et de volonté. À l’Élysée comme au
Quai d’Orsay, si les ambassadeurs accourent, anxieux, ils se heurtent à un
écriteau : “Parlez au concierge.” Toute conversation diplomatique est
paralysée. Je ne dis rien du ministère de la Guerre où M. Messimy apporte
tout autre chose qu’une stabilité de vues, ni de la Marine où M. Gauthier
fait consciencieusement ses premières études sur l’art de la navigation… Nous
sommes un pays abandonné [143] . »
    En dépit de la sévérité du trait, les faits paraissaient
donner raison à Clemenceau.
    En l’absence du président et du chef du gouvernement, les
clés de la Maison France avaient été confiées au ministre de la Justice qui
assurait l’intérim. Un brave homme, de bonne volonté sans aucun doute. Garde
des Sceaux depuis sept mois, Jean-Baptiste Bienvenu-Martin avait été nommé par
Gaston Doumergue puis reconduit dans ses fonctions par René Viviani. Ce
sénateur natif de l’Yonne n’était pas de toute première jeunesse. Dans le
temps, il avait été ministre de l’Instruction publique, des Beaux-Arts et des
Cultes. Mais qui donc s’en souvenait ?
    Bienvenu-Martin aurait volontiers confessé en toute
honnêteté son ignorance à peu près totale des affaires diplomatiques. Il
n’empêche qu’on l’avait préféré au sous-secrétaire d’État aux Affaires
étrangères en titre, Abel Ferry, le neveu de Jules. Ce dernier passait pour ne
s’intéresser qu’à l’Afrique au point de susciter une plaisanterie qui avait
fait florès : « Les Ferry sont incorrigibles ! Après le Tonkin,
l’Afrique ! »
    De plus ou moins bonne grâce, Bienvenu-Martin consentait
donc à perdre trois quarts d’heure par jour au Quai d’Orsay et il se disait que
c’était bien assez. Il est vrai qu’en la personne de Philippe Berthelot,
directeur adjoint des Affaires politiques, il tenait un grand professionnel en
qui il pouvait avoir toute confiance.
    En ce début d’après-midi du 24 juillet, Bienvenu-Martin
avait reçu l’ambassadeur d’Allemagne, le baron von Schoen qui était, lui
aussi, tout sauf un amateur. En cours d’entretien, le représentant de Berlin
avait cru bon d’insister. L’Allemagne soutiendrait sans réserve l’attitude de
l’Autriche :
    — Les autres puissances ne doivent pas s’en mêler, sauf
à prendre des risques incalculables. C’est pourquoi aussi l’Allemagne considère
que l’affaire ne se réglera pas cette fois par la tenue d’une conférence européenne [144] .
    Peu après l’entretien, Bienvenu-Martin avait signé
négligemment le télégramme diplomatique que lui avait préparé Berthelot. Ce
pensum accompli, il s’était interdit d’y repenser. Il restait typiquement un
politicien français. Et la classe politique française, en ce moment, n’avait
d’yeux et d’oreilles que pour l’affaire Caillaux.
    *
    Le 20 juillet s’était ouvert le procès d’Henriette
Caillaux devant la cour d’assises de la Seine. De passionnelle, l’atmosphère
était vite devenue irrationnelle et même délirante. La presse, surtout, s’en
donnait à cœur joie en se délectant de la narration des moindres faits et
gestes des acteurs de ce vaudeville tragi-comique. À l’extérieur de la salle
d’audience, des groupes nationalistes et les Camelots du roi organisaient des
manifestations hostiles à Caillaux.
    Henriette Caillaux, l’accusée, faisait bien sûr l’objet de
toutes les attentions sarcastiques. De son visage diaphane comme de sa
silhouette menue émanait une sorte de fragilité émouvante. On la sentait
éprouvée, usée par toutes ces semaines passées en

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