1940-De l'abîme a l'espérance
mercredi 15 mai, 167 avions dont 47 Britanniques sont abattus par les mitrailleuses de Guderian, qui réussit à faire traverser la Meuse à 60 000 soldats, 22 000 véhicules dont 850 chars.
Et malgré cette avalanche de Panzers, ce déluge de feu déversé par les Stuka, malgré les assauts des fantassins allemands, des unités françaises opposent sur les bords de la Meuse une résistance acharnée.
Dans le secteur de Monthermé, une unité de réservistes français bloque durant deux jours la VI e Panzerdivision.
« Dignes des Poilus de Verdun », dit le général Reinhardt.
Même détermination, même sacrifice, à La Horgne, à 20 kilomètres au sud-ouest de Sedan.
Ce sont des spahis algériens, marocains qui bloquent l’avance allemande. Ils refusent de se rendre.
« Ces spahis se sont sacrifiés pour la France, note le commandant du I er régiment de fusiliers allemands. J’ai donné l’ordre que l’on traite particulièrement bien les quelques prisonniers. »
Et la I re Panzerdivision perd ce jour-là un millier de tués ou blessés, ainsi qu’une vingtaine de blindés. À peine la moitié de l’effectif normal est encore debout.
Six cents spahis ont été tués ou blessés.
Ces combats héroïques ne sont même pas reportés sur les cartes que le colonel de Gaulle examine à Montry, ce mercredi 15 mai, au quartier général du général Doumenc où il a été convoqué.
Les flèches qui retracent l’avance des Panzerdivisionen de Guderian montrent que les Allemands, après avoir franchi la Meuse, se laissent glisser dans la vallée de la Serre, en direction de Montcornet, le nœud des routes qui vont vers Saint-Quentin, Laon et Reims, et aussi vers Abbeville, sur la Somme.
Le général Doumenc charge de Gaulle de retarder l’avance ennemie afin de laisser le temps à la 6 e armée du général Touchon de se déployer, d’établir une ligne de défense.
Au quartier général de La Ferté-sous-Jouarre, où se rend de Gaulle, le général Georges confirme ces dispositions.
« Allez, de Gaulle, dit Georges, pour vous qui avez depuis longtemps les conceptions que l’ennemi applique, voilà l’occasion d’agir. »
Il ne peut y avoir de pires conditions pour agir. Les routes sont encombrées d’un « peuple éperdu », civils et soldats sans armes. Il faut gagner Soissons, puis Laon, remonter ce flot de réfugiés, de troupes débandées.
De Gaulle est saisi par une « fureur sans bornes ».
« Ah, c’est trop bête, la guerre commence infiniment mal, maugrée-t-il. Il faut donc qu’elle continue. Il y a pour cela de l’espace dans le monde. Si je vis, je me battrai où il faudra tant qu’il faudra ; jusqu’à ce que l’ennemi soit défait et lavée la tache nationale. »
Combien sont-ils, ceux qui forgent en eux-mêmes une telle résolution au moment où commence la « journée noire » du jeudi 16 mai 1940 ?
La panique au contraire gagne dès le début de la matinée les services des ministères, entraîne les ministres et même Paul Reynaud qui rêve pourtant d’être le nouveau Clemenceau.
Mais quand le général Hering, gouverneur militaire de Paris, lui recommande d’ordonner l’évacuation du gouvernement, des assemblées et des ministères, il accepte cette suggestion, la transmet aux présidents de la Chambre des députés, Édouard Herriot, et du Sénat, Jules Jeanneney.
Mais certains ministres s’y opposent et celui des Transports – Monzie – annonce qu’il n’a pas un seul train à mettre à la disposition du gouvernement ou des Parisiens, et fort peu de camions.
De nombreux députés s’opposent au départ, qui serait considéré comme une fuite devant l’ennemi.
Paul Reynaud se rallie finalement à ce point de vue, mais la panique affole les plus hauts responsables de l’État.
Dans les jardins du Quai d’Orsay, on brûle les archives du ministère sans même en avoir fait l’inventaire. Et c’est Alexis Leger – Saint-John Perse –, le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, qui en aurait donné l’ordre.
Les fonctionnaires jettent par les fenêtres sur les pelouses des cartons verts contenant les dossiers.
On pousse dans le foyer ces documents qui recèlent des pans d’histoire de France, et une fumée noire s’élève comme si le ministère, le gouvernement, voulaient faire savoir aux Parisiens que tout est perdu, qu’il faut brûler ce qu’on ne peut
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