1940-De l'abîme a l'espérance
emporter, ce que l’on a de plus précieux, avant de s’enfuir.
Mais les ministres se rendent dans les gares, dans les usines, pour que la population les voie, se persuade que le gouvernement n’a pas abandonné la capitale.
Paul Reynaud monte à la tribune de la Chambre des députés à 15 heures, ce jeudi 16 mai.
Il affiche une détermination sans faille, parle d’une voix vibrante, et les députés l’applaudissent à tout rompre, plusieurs fois.
« Hitler veut gagner la guerre en deux mois, déclare-t-il. S’il échoue, il est condamné, et il le sait. Le temps que nous allons vivre n’aura peut-être plus rien de commun avec celui que nous venons de vivre. Nous serons appelés à prendre des mesures qui auraient paru révolutionnaires hier. Peut-être devrons-nous changer de méthodes, et changer les hommes. »
On acclame Reynaud qui annonce ainsi qu’il va procéder à un remaniement du gouvernement et à la tête des armées.
On murmure qu’il veut remplacer Gamelin par le général Weygand, prendre lui-même le ministère de la Défense et donc contraindre Daladier à la démission, et faire entrer au gouvernement le maréchal Pétain, dont on assure qu’il a déjà quitté son ambassade à Madrid et qu’il a de grandes ambitions.
Reynaud reprend, de nouveau acclamé quand il dit :
« Pour toute défaillance, le châtiment viendra, la mort !
« Il faut nous forger tout de suite une âme nouvelle. Nous sommes pleins d’espoir. Nos vies ne comptent pour rien. Une seule chose compte : maintenir la France. »
Les députés applaudissent debout le président du Conseil qui va enregistrer une allocution qui sera diffusée le soir même à la radio.
« On a fait courir les bruits les plus absurdes, commence Reynaud. On a dit que le gouvernement voulait quitter Paris : c’est faux. Le gouvernement est et demeurera à Paris.
« On a dit que l’ennemi était à Reims. On a même dit qu’il était à Meaux, alors qu’il a réussi seulement à faire au sud de la Meuse une large poche que nos vaillantes troupes s’apprêtent à colmater.
« Nous en avons colmaté d’autres en 1918 ! Vous, combattants de la dernière guerre, vous ne l’avez pas oublié ! »
Reynaud a pris la décision, non pas de rester à Paris – quoi qu’il dise – mais de « ne quitter » la capitale qu’à la dernière minute pour éviter d’être capturé par l’ennemi…
Il le dit à Churchill, qui vient d’arriver à Paris, en ce milieu d’après-midi du jeudi 16 mai.
Churchill est stupéfait de voir les archives qui achèvent de brûler dans les jardins de ce Quai d’Orsay où Reynaud le reçoit en compagnie de Daladier et du général Gamelin.
Le Premier Ministre anglais mesure l’affolement de ces hommes, leur abattement.
Pour la première fois, il doute de leur résolution à se battre jusqu’au bout.
Il écoute Gamelin qui annonce le repli sur l’Escaut des troupes entrées en Belgique. Il s’en étonne. Il lui semble absurde d’abandonner tout ce terrain. Il interroge :
« Où sont les réserves stratégiques, où est la masse de manœuvre ?
— Il n’y en a aucune », répond Gamelin.
Daladier explique que c’est la raison pour laquelle on a demandé l’appui de l’aviation britannique afin de colmater, d’arrêter la trouée qui menace Paris.
Churchill remarque que Reynaud, resté silencieux, ne proclame pas que la France continuera la lutte quoi qu’il arrive.
Churchill ne le relève pas, affiche sa résolution et son optimisme mais pour la première fois aussi il songe qu’il faudra peut-être, sans doute, rapatrier le corps expéditionnaire britannique.
Quand Gamelin réclame à nouveau l’envoi d’escadrilles britanniques, Churchill, sa tête ronde penchée, le menton en avant, exprimant la volonté, répond « qu’il ne peut affaiblir la défense des îles Britanniques et qu’il se refuse donc à modifier la stratégie de la Royal Air Force. L’Angleterre n’a plus que trente-neuf escadrilles pour assurer sa propre protection ».
Il quitte rapidement le Quai d’Orsay, se rend à l’ambassade de Grande-Bretagne, murmure « ils sont au bout du rouleau », et, après quelques instants de réflexion, télégraphie au Cabinet de guerre :
« Situation grave au dernier degré… Mon avis personnel est que nous devrions envoyer demain les escadrilles de chasse demandées, pour donner à l’armée française une
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