1940-De l'abîme a l'espérance
Laval, aux premiers rangs desquels il y a Adrien Marquet, on souhaite un changement de régime.
De la défaite, dont la République, les Mandel, les Blum, les Reynaud sont responsables, doit surgir un État français, porteur d’une « révolution nationale ». Elle mettrait fin à la gangrène des partis politiques, à l’esprit de jouissance.
Cet « ordre nouveau » permettrait à la France de trouver sa place dans l’« Europe nouvelle » que dessinent Mussolini, Franco, Hitler.
Le Führer suit avec attention cette évolution politique.
À ses yeux, elle confirme qu’il a eu raison de maintenir en France une zone non occupée où un gouvernement français pourra servir de paravent à la politique nazie.
À son quartier général de Brûly-de-Pesche, un village situé à quelques kilomètres de la frontière belge, non loin de Sedan et de Chimay, il confie ses intentions aux dignitaires du régime qu’il convie dans la petite maison qu’il occupe : réduire la France au rôle décoratif d’une nation de second rôle.
Le village de Brûly-de-Pesche a été entièrement vidé de ses habitants et les maisons ont été attribuées aux membres du quartier général de Hitler et aux invités du Führer.
Parmi eux, ce mardi 25 juin, Albert Speer, l’architecte et le confident de Hitler.
On attend 0 h 15, heure à laquelle a été fixé le début de l’armistice.
Les convives sont assis autour d’une table de bois.
Hitler ordonne d’éteindre la lumière et d’ouvrir les fenêtres.
Tout à coup, un clairon joue la sonnerie traditionnelle de fin des hostilités.
La nuit est fendue au loin par des éclairs de chaleur dont la lueur illumine la pièce obscure.
Puis on entend la voix de Hitler, faible, neutre :
« Quelle responsabilité… », dit-il.
Et quelques minutes plus tard, il ajoute :
« Maintenant, rallumez la lumière. »
Et la conversation reprend, anodine.
Albert Speer ressent ce moment comme « un événement extraordinaire ».
« Il m’a semblé découvrir Hitler sous son aspect humain », conclut-il.
19 .
C’est le mercredi 26 juin 1940.
Albert Speer quitte le quartier général du Führer pour se rendre à Reims visiter la cathédrale.
Il a écouté une bonne partie de la matinée Hitler soliloquer joyeusement.
Hitler n’a pas évoqué la préparation d’un débarquement en Angleterre. Il a donné l’ordre de mettre au repos trente-cinq divisions, d’accorder généreusement des permissions. Et une fois de plus, il a fait l’éloge de l’Empire britannique, et laissé entendre qu’il désire conclure avec les Anglais une paix honorable.
Il veut, dans les prochains jours, parcourir l’Alsace et la Lorraine, ces terres allemandes, et visiter la ligne Maginot où des unités françaises refusent encore de déposer les armes, au prétexte qu’elles n’ont pas reçu d’ordre du gouvernement français.
Mais Hitler est resté d’humeur radieuse.
Il compte se rendre à Paris, découvrir cette capitale qu’il a toujours rêvé de connaître. Albert Speer, comme le sculpteur Arno Breker, sera du voyage. Puis Hitler, tout en faisant les cent pas dans le village, accompagné par les généraux Jodl et Keitel, a dit, comme s’il commençait à dessiner un avenir évident, la prochaine étape de son projet.
« Maintenant, nous avons prouvé ce dont nous sommes capables. Croyez-moi, Keitel, une campagne contre la Russie ne serait en comparaison qu’un jeu d’enfant. »
Il est vrai que Staline pousse ses pions, lançant un ultimatum à la Roumanie, envahissant deux provinces du pays, la Bessarabie et la Bukovine.
Mais Speer, en roulant vers Reims sous un ciel d’un bleu intense, dans la plénitude solaire et insolente de l’été, se remémore avec inquiétude ces propos.
Rommel et d’autres officiers ont fait écho à Hitler.
« Les exigences de la Russie envers la Roumanie sont assez dures, a dit Rommel. Je doute que cela fasse beaucoup notre affaire. Ils prennent tout ce qu’ils peuvent. Mais ils ne trouveront pas toujours si facile de garder toutes leurs conquêtes. »
La guerre à l’est, plutôt qu’à l’ouest, donc ? La Russie communiste plutôt que l’Angleterre impériale ?
Et si le risque existait d’une guerre sur les deux fronts ?
Hitler a souvent évoqué ce cauchemar pour l’écarter. Mais l’Angleterre semble résolue à se battre jusqu’au bout.
Elle vient de décréter le blocus
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