1940-De l'abîme a l'espérance
longuement les identités des parlementaires. Dans la salle, l’atmosphère est tendue, violente, car une dizaine de députés tentent de s’opposer à Laval.
Ils s’inquiètent de « l’alignement sur d’autres régimes ». Mais Laval lit une lettre de Pétain.
« Le vote du projet que le gouvernement soumet à l’Assemblée nationale me paraît nécessaire pour assurer le salut de notre pays. »
Le piège se referme sur tous ceux qui, tels Herriot et Jeanneney, ont chanté les louanges du Maréchal, dont pourtant la pensée politique et les ambitions étaient connues.
Laval, applaudi à tout rompre, peut déclarer :
« Il ne peut donc y avoir aucun doute que c’est bien la pensée du Maréchal sur le projet, que j’exprime ici. »
Et comme il l’a déjà fait la veille, il n’hésite pas à affirmer qu’il veut la fin du régime parlementaire.
« La France a abusé de la liberté, dit-il. C’est pourquoi nous en sommes arrivés là… Un désastre comme celui que nous avons subi ne doit pas laisser subsister des institutions qui l’ont permis. »
Mais il ajoute sur le ton tout à coup de la confidence :
« Savez-vous ce qu’il y a au fond de tout ce que je vous ai dit ? Savez-vous pourquoi surtout nous avons déposé ce projet ? C’est pour faire, retenez-le bien, méditez ce propos avant de venir à la séance publique, c’est pour faire à la France la paix la moins mauvaise possible. »
Le vaincu doit, pour amadouer le vainqueur, l’imiter servilement : tel est le mobile avancé par Laval.
C’est à la fois un prétexte, un moyen de chantage moral et politique, et une habileté de maquignon pour masquer ses intentions dictatoriales ou les faire accepter en fournissant aux députés des excuses… patriotiques.
La séance à huis clos terminée, en part déjeuner au restaurant à la mode, le Chanteclerc, où se retrouvent les parlementaires, les diplomates, les journalistes et les belles élégantes.
Puis, peu après 14 heures, on retourne au casino, pour la séance publique.
Quelques députés s’opposent au projet qui donne tous les pouvoirs – exécutifs et législatifs – au maréchal Pétain.
On crie : « Clôture, clôture ! » Et le public – trié – des tribunes mêle sa voix à celles de la majorité des parlementaires qui veulent en finir avec la « discussion générale ».
Jeanneney, qui préside, cède, cependant qu’on empêche, en le retenant par la veste, le député radical Vincent Badie d’accéder à la tribune.
« Le président Jeanneney n’a pas tenu sa promesse, commente Badie. S’il l’avait voulu, malgré tous les hurlements, j’aurais au moins pu lire notre motion de protestation. »
Cela n’eût pas changé les résultats du vote, écrasants.
569 voix contre 80 et 17 abstentions.
La majorité des députés socialistes et radicaux, « républicains farouches », a rejoint ce mercredi 10 juillet 1940 la majorité des « conservateurs ».
La III e République est morte.
« Je ne savais pas qu’il y avait tant de lâches et de traîtres dans mon parti », dit le député socialiste Le Troquer, retenu à Alger avec les « passagers » du Massilia.
On assure que Weygand a déclaré : « Je n’ai pas eu les Boches mais j’ai eu le régime ! »
Dans la salle du casino, Laval s’est levé. Il est 18 heures, ce mercredi 10 juillet 1940. « Messieurs, au nom du maréchal Pétain, je vous remercie pour la France », déclare Laval.
Les députés l’acclament. Une voix lance :
« Vive la République quand même ! »
Les « 80 » parlementaires qui à Vichy, dans ce climat de peur, se sont opposés à Laval et à Pétain, ont fait preuve de courage.
Ils ont accompli un acte de résistance.
23 .
En cette mi-juillet 1940, la voix des 80 parlementaires opposés au projet de Laval et de Pétain est étouffée par la majorité écrasante qui a accepté de mettre fin à la République.
Sait-on seulement que Laval est désigné comme successeur de plein droit du Maréchal en cas d’empêchement de ce dernier ?
Et on a déjà oublié le nom de ce président de la République si terne, M. Albert Lebrun.
Dans la matinée du samedi 13 juillet, Pétain lui a rendu visite.
« Monsieur le président, dit Pétain, le moment pénible est arrivé. Vous avez bien servi le pays, et cependant le vote de l’Assemblée nationale crée une situation nouvelle. Je ne
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