1940-De l'abîme a l'espérance
Laval « qui pour cette mission est l’avocat du gouvernement ».
Pétain n’ignore pas que Laval va refuser, ce qu’il fait en effet avec arrogance et impatience.
Laval s’exprime avec la même insolence devant les députés réunis dans l’après-midi du vendredi 5 juillet.
La salle du casino a été aménagée de manière à évoquer l’hémicycle du Palais-Bourbon. Elle n’en est que la caricature dérisoire, un mauvais décor, avec ce premier rang de fauteuils d’orchestre réservé aux membres du gouvernement.
Laval, la tête enfoncée dans les épaules, écoute les députés, perplexes.
« Pourquoi changer la forme du gouvernement ? interroge Marcel Héraud, député du 6 e arrondissement de Paris. Si la République a perdu une guerre, n’oublions pas qu’elle en a gagné une autre… Nos malheurs, c’est aux hommes qu’il faut les attribuer, plus qu’au régime républicain. »
C’est à Héraud que répond Laval, négligeant les autres députés qui sont intervenus.
Il est violent, véhément, emporté par sa rancœur, son mépris de l’institution parlementaire, sa haine de la République.
C’est le moment qu’il attend depuis une décennie, ces années trente, quand il avait élaboré une politique étrangère d’alliance avec l’Italie fasciste.
Ce vendredi 5 juillet 1940, à Vichy, dans cette salle de casino, c’est la revanche des années 1934-1936.
« Nous venons de vivre des années où il importait peu de dire d’un homme qu’il était voleur, escroc, souteneur, voire assassin, martèle Laval. Mais si on disait de lui “c’est un fasciste”, alors le pire qualificatif lui était décerné ! Nous payons aujourd’hui le fétichisme qui nous a enchaînés à la démocratie en nous livrant aux pires excès du capitalisme alors qu’autour de nous, l’Europe forgeait, sans nous, un monde nouveau qu’animeraient des principes nouveaux… »
Laval avec une violence méprisante continue de s’adresser à Héraud :
« Vous avez fait un discours, un beau discours… Alors vous vous imaginez que nous avons encore le temps d’écouter des discours ? Vous vous trompez ! C’est fini les discours. Nous ne sommes pas ici, vous, pour les prononcer, nous, pour les entendre ! Nous avons à rebâtir la France ! »
Le silence dans la salle du casino est dense, comme si chacun des parlementaires se terrait, terrifié devant cet homme noir qui tombe le masque, qui dit :
« Nous voulons détruire la totalité de ce qui est. Ensuite, cette destruction accomplie, créer autre chose qui soit entièrement différent de ce qui a été, de ce qui est. »
Il se sent fort. Il attend ce moment depuis si longtemps, qu’il poursuit sur le même ton violent, comme s’il voulait par ses propos extrêmes débusquer ses adversaires, les forcer à l’affronter.
Il lance un véritable ultimatum. Il veut une reddition. Le temps des demi-mesures prudentes est achevé.
« De deux choses l’une. Ou bien vous acceptez ce que nous vous demandons et vous vous alignez sur la Constitution allemande ou italienne ; ou bien Hitler vous l’imposera ! »
Du chantage à la peur ? Pourquoi pas ! Il méprise trop ces « démocrates » pour les ménager.
« Désormais… il n’y aura qu’un seul parti, celui de tous les Français, un parti national qui fournira les cadres de l’activité nationale. »
Il reprend son souffle. Il a dévoilé son projet. Les parlementaires n’ont même pas osé l’interrompre, hurler alors qu’il annonçait la mort de la République, et la naissance d’un État prenant pour modèle le nazisme et le fascisme !
Maintenant qu’ils sont soumis, tétanisés, il peut les voir individuellement, les cajoler. Ils sont devenus des animaux domestiques.
Il éprouve à les flatter, après les avoir fustigés, une jouissance profonde.
Ces députés, ces républicains, vont voter le 10 juillet leur propre mort et celle du régime dont ils ont tant chanté les vertus.
Et que cette Chambre soit celle du Front populaire ajoute un plaisir savoureux à cette victoire politique dont il ne doute pas.
De Gaulle a lu les dépêches qui rapportent les propos de Pierre Laval. Au moins ce « maquignon des hommes » a-t-il eu le cynisme d’afficher son programme politique !
Il veut que la France devienne l’une des provinces de l’Europe nazie. Et ce n’est pas seulement la République qui doit disparaître, mais la nation
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