1941-Le monde prend feu
la nuit sans lune. Et Short ressentit une angoisse sourde. C’était
ainsi depuis qu’il commandait les vingt-cinq mille hommes de la garnison de l’île.
Était-ce la présence dans la population de cent cinquante mille civils d’origine
japonaise ? Et de combien d’espions ? deux cents ? Ou bien
était-ce cette tension qui, depuis plusieurs mois – alors que les armées
de Hitler étaient devant Moscou –, montait face au Japon, l’allié de l’Allemagne ?
À la suite de l’occupation par les Japonais de l’Indochine
française, le président Roosevelt avait bloqué les avoirs japonais aux
États-Unis, interdit les exportations de métaux et de pétrole vers le Japon. Aujourd’hui
même, samedi 6 décembre, Roosevelt avait adressé un message à Hirohito :
« Nous, chefs d’État, avons le devoir sacré de restaurer l’amitié traditionnelle
entre les deux pays. » Était-ce possible, alors que le Japon avait une
volonté d’expansion en Asie vers Singapour, la Malaisie, les Philippines, les
Indes néerlandaises (Indonésie), et qu’il ne pouvait le faire sans pétrole ?
Le Japon n’avait pas six mois de réserves et seulement un mois d’autonomie de
carburant pour sa flotte ! Alors la guerre ? Des négociations étaient
en cours à Washington. On attendait des propositions japonaises pour le début
décembre. Mais les Américains, qui avaient réussi à « casser » les
codes secrets japonais, pressentaient une volonté de rupture, la préparation d’une
attaque, sans doute contre les bases américaines des Philippines.
Le général Short ignorait ces informations. Il était entré
dans la grande salle du Cercle des officiers. On y dansait avec insouciance.
« Ici, à Hawaii, dit-il en s’asseyant à l’une des tables où se trouvaient
d’autres officiers et leurs épouses, nous vivons dans une citadelle, une île
puissamment fortifiée. » Il pensa aux navires illuminés, au halo de
lumière au-dessus de Pearl Harbor et d’Honolulu. « Quel magnifique
spectacle, dit-il de nouveau, en montrant la baie (puis, plus bas :) Quelle
belle cible ! »
Ces lumières de Pearl Harbor et d’Honolulu, celles des
cuirassés, le commandant Hashimoto, dans le kiosque du sous-marin I.24, les
regardait, fasciné. Il avait fait surface au large de l’île. Il guettait. À 500 kilomètres
de là, une flotte japonaise de trente-deux navires était rassemblée. Ils
avaient quitté la baie de Tankan, dans les îles Kouriles, le 26 novembre, parcouru
dans les brouillards et la mer agitée la route du nord Pacifique, tous feux
éteints, sans être repérés. Dans quelques heures, à 6 heures, ce dimanche 7 décembre,
la première vague de bombardiers quitterait les six porte-avions. Puis une
seconde vague, une heure plus tard. En tout, trois cent cinquante avions.
L’amiral Yamamoto – le commandant de toutes les forces
navales japonaises – avait conçu ce plan d’attaque de Pearl Harbor, dès le
mois de janvier 1941. « Si nous voulons faire la guerre à l’Amérique, avait-il
dit, notre seule chance de vaincre serait de détruire la flotte américaine dans
les eaux de Hawaii. » Comme l’amiral Togo avait coulé, en 1904, la flotte
russe à Port-Arthur. Il n’y avait pas d’autre solution qu’une attaque-surprise.
Roosevelt étranglait le Japon avec son embargo. Sa flotte menaçait le flanc de
la progression japonaise vers l’Asie du Sud. Banzaï ! Attaque !
« Il faut surprendre leur marine dans son sommeil », avait ajouté l’amiral
Nagumo qui, à bord du porte-avions Akagi, dirigeait l’escadre. On
continuerait de négocier à Washington jusqu’à l’heure de l’attaque préparée en
secret durant des mois. Les bombardiers, en piqué, surgiraient à l’aube du
dimanche 7 décembre quand tous ces équipages américains seraient à terre
ou cuveraient leur alcool. Puis, après l’assaut, les avions rejoindraient les
porte-avions qui auraient contourné Hawaii et attendraient les pilotes à 200 kilomètres
de l’île. Ce dispositif d’attaque « d’inégale distance » entre l’aller
et le retour devrait achever de désorienter les Américains s’ils voulaient
repérer la flotte.
Les pilotes avaient prié avant de décoller, bu du saké, entouré
leur front du bandeau du guerrier, le hashmaki blanc. Les vingt-sept
sous-marins disposés autour de l’île devaient couler tous les bateaux qui
tenteraient d’échapper à la
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