1943-Le souffle de la victoire
capitale que doit
siéger le CNR.
Mais Moulin va d’abord gagner Londres pour rendre compte au
Général de l’accomplissement prochain de sa mission.
Il est surpris que, à son arrivée à Carlton Gardens, Passy
lui annonce qu’il doit le conduire, dans la voiture personnelle du Général, jusqu’à
la maison de celui-ci à Hampstead.
Dans le living-room qui donne sur un parc aux arbres
décharnés, Moulin retrouve quelques hommes, le général Delestraint, le colonel
Billotte et André Philip, commissaire à l’intérieur.
De Gaulle entre, serre la main de Jean Moulin.
« Veuillez vous mettre au garde-à-vous », dit de
Gaulle. Puis, haussant le ton, il ajoute d’une voix solennelle :
« Caporal Mercier, nous vous reconnaissons comme notre
Compagnon pour la Libération de la France dans l’Honneur et par la Victoire. »
Il épingle la croix de la Libération sur la poitrine de Jean
Moulin.
11.
Jean Moulin s’en va. Il doit regagner la France et de Gaulle
est inquiet.
Il suit des yeux la silhouette frêle de celui qui organise l’avenir
de la nation et qui, dans quelques heures, sera au milieu des périls. Redevenu
Max ou Rex, recherché par toutes les polices allemandes, il sera à la merci du
hasard, d’une imprudence, d’une trahison, du non-respect des consignes, des
rivalités, des ambitions.
« Ah, je le sais, dit de Gaulle. Du drame atroce que
nous traversons tous ensemble, sont sorties, parmi les Français, des divisions
passionnées et même parfois des luttes fratricides. Hélas, une fois de plus, nos
malheurs dans la guerre étrangère s’accompagnent de luttes intestines. »
Moulin est l’un des Français les plus exposés. Survivra-t-il ?
La libération tant espérée ne peut se réaliser que dans
plusieurs mois et « la guerre atteint son paroxysme ».
En dépit des succès des Alliés sur tous les fronts – même
les Japonais ont dû reculer, ils ont évacué Guadalcanal –, c’est avec
angoisse et anxiété que de Gaulle regarde l’horizon.
Il l’a déjà dit : l’Allemagne nazie est encore
menaçante, décidée peut-être à entraîner dans sa défaite ceux qui la combattent.
Et cependant l’offensive russe a, en moins de deux mois, déplacé
le front de plus de trois cents kilomètres vers l’ouest.
« C’est presque à en pleurer, écrit un soldat allemand
à son épouse, le 16 février 1943, quand on pense à ce que la conquête de
ces territoires a coûté de sacrifices et d’efforts ; il ne faut pas y
penser. Il semble qu’il y a une crise réelle en ce moment et l’on perdrait
presque courage si l’on n’avait pas un cœur de croyant. »
La foi demeure donc, en dépit du fait que ces soldats du
front sont inquiets pour leurs familles, dont ils savent qu’elles sont écrasées
et décimées sous les bombes.
Mais les femmes qui, survivantes, errent parmi les ruines de
Cologne, d’Essen, de Lübeck, de Hambourg, de Berlin, acceptent leur sort, ne
manifestent même aucune haine pour ces Anglais et ces Américains qui les
bombardent.
« Nous n’avons plus le contrôle de notre destin, écrit
l’une d’elles. Nous sommes forcées de nous laisser emporter par lui et de
prendre ce qui vient sans confiance ni espoir. »
Elle marche, serrant son enfant contre elle, au milieu des
décombres encore brûlants. L’air vibre de chaleur, des explosions font tomber
dans un nuage de poussière des pans de mur.
Un soldat en permission, qui parcourt les rues du quartier
ouvrier de Hambourg, près du port, note :
« Silence de mort. Ici, on ne voit personne chercher
des objets personnels parce que ici les gens aussi gisent sous les décombres. Ici,
la rue n’est plus carrossable. Je dois porter mon vélo sur l’épaule et
escalader les gravats. Les maisons ont été aplaties. Partout où se pose mon
regard, champ de ruines immobile comme la mort. Personne ne s’en est sorti. Ici,
les bombes incendiaires, les mines aériennes et les bombes à retardement sont
arrivées en même temps. On voit encore l’ancienne surface de la rue, sous les
décombres. »
Il espère que « Londres l’arrogante sentira les effets
de la guerre et ce sera beaucoup plus dur que ce qui s’est passé aujourd’hui à
Hambourg ».
Il est persuadé que la ville sera reconstruite « quand
nous aurons gagné la guerre, dit-il. Quand nous pourrons à nouveau faire notre
travail en Allemagne sans être dérangés. Quand nous
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