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22 novembre 1963

22 novembre 1963

Titel: 22 novembre 1963 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Adam Braver
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n’est-ce pas là un lieu consacré ? » Tant de fois elle était venue là, pleurer sur les tombes de ses enfants. Elle enjamba la haie, du côté où elle était basse et délabrée, près des tombes des pauvres et des mendiants ; là, les tombes étaient ensevelies sous l’herbe, les croix penchées. Il faisait noir, mais la dame connaissait bien le chemin. Près des petites tombes de ses enfants, elle s’arrêta et s’assit dans l’herbe. Ala, les deux jumeaux, Marie, Garin, Henri… tant et tant qu’elle avait enterrés dans leurs langes, et tant de fois elle avait pressé sa poitrine douloureuse et gonflée de lait sur leurs tombes, de lait chaud et doux qui coulait encore pour de petites bouches froides, fermées pour toujours dans le cercueil. « Seigneur Dieu, pensait-elle, ne dois-je pas vous remercier ? Que n’aurais-je pas donné pour qu’Herbert fût à présent un doux et pur petit enfant au repos dans vos bras ? Ils sont quatorze là qui ont vécu sans péché.
    » Ô Marie Sainte, Mère très pure, quel calvaire à nous autres mères pécheresses, de passer notre vie à regarder la pure beauté de nos anges de Dieu se dégrader et s’avilir de jour en jour, d’année en année, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’horreur et honte. Ô les avoir tous nourris et caressés pour se réjouir maintenant qu’ils soient morts si petits, ô mes anges, quelles hontes, quels crimes Dieu vous a-t-il épargnés en vous reprenant à moi, si ceux qui sont restés en vie sont tombés si bas ? Ah ! Herbert, Herbert, Herbert, que Dieu te fasse tant souffrir que tu expies encore en ce monde. »
    La nuit était calme et le ciel lourd d’étoiles. Les herbes du cimetière étaient dures et fanées, et la terre gardait encore la chaleur sèche de la journée. Il n’avait pas plu depuis six semaines. Même la nuit, l’air était étouffant. Une immense étoile filante traversa le ciel pour tomber quelque part derrière la forêt de Linnières. On entendait les cerfs au loin bramer de soif, car les ruisseaux étaient taris.
    Herbert mit ses habits de voyage les plus modestes et se rendit à Saint-Florentin, chez les moines. Il avait appris par des valets venus de Bernon ce qui s’était passé la veille, et craignait une enquête. L’inceste, il pouvait le nier, les paroles d’une fille comme Églantine ne sont pas une preuve. La sorcellerie, il ne s’en était jamais mêlé, et c’était la fille, au contraire, qui passait pour sorcière à bon droit. Mais après ce que sa mère lui avait fait, il n’était plus sûr de rien, et toutes ses entreprises pouvaient échouer.
    À Saint-Florentin, il était en bons termes avec le prieur, et lui exposa son cas aussi nettement qu’il le put : sa mère, sur la foi de calomnies, l’avait maudit. S’il était innocent, la malédiction allait-elle agir ? « Mon fils, dit le prieur, vous parlez comme un homme plein des vaines superstitions du siècle. Raisonnez vous-même : de grands saints ont parfois été maudits par des parents païens et idolâtres, et il est clair qu’une telle malédiction n’est rien contre la puissance de Dieu. Votre mère est une bonne chrétienne, mais si elle vous a maudit à tort et dans un moment de colère, elle a agi comme une païenne. Si ce qu’elle vous reproche est vrai et mérite une telle punition, l’Église elle-même, notre Mère à tous, en ferait autant et vous excommunierait. Mais si, ce qui serait possible aussi, l’Église ne vous reconnaissait pas pour coupable, et que vous le soyez au fond de votre conscience, vous êtes encore plus sûrement damné que si vous étiez mis au ban de l’Église.
    — Ah ! je ne comprends rien à vos raisonnements, mon père. Le cas est pourtant simple : je suis innocent et ma mère me croit coupable. Que puis-je faire pour lever la malédiction ?
    — Mon fils, une telle malédiction est de toute façon un péché de sa part, mais n’a pas de pouvoir maléfique comme le croit le peuple. Moi, homme d’Église, je vous l’affirme. Mais si vous êtes un bon fils, vous devez tâcher de vous réconcilier avec votre mère. »
    Herbert promit un don au couvent sur le revenu de ses vignes, et partit, plus perplexe qu’avant. Il croyait les prêtres plus forts que cela dans l’art de conjurer les maléfices. Mais plus probablement le prieur ne voulait pas dire sa vraie pensée, et se contentait de banalités pour se débarrasser de lui. Sans doute

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