4 000 ans de mystifications historiques
Luftwaffe avait perdu entre cinquante-six et soixante appareils et non cent quatre-vingt-six, et que la RAF en avait perdu vingt-six et non une dizaine. Ce n’était déjà pas mal.
Soutenues par la mystification de la propagande britannique, ces erreurs bienheureuses fortifièrent le mythe de la victoire britannique sur la puissante Luftwaffe. Il est des fois où la mystification est utile.
1940
Churchill a-t-il sacrifié Coventry
à ses services secrets ?
Dans la masse d’ouvrages qui parurent après la Seconde Guerre mondiale, mémoires et récits expliquant ou révélant certains aspects méconnus du conflit, on releva une allégation grave : prévenu quelques heures auparavant du plan allemand de bombardement de Coventry, Winston Churchill aurait renoncé à faire évacuer la ville à temps, pour ne pas laisser les Allemands soupçonner que leur code secret de transmission des messages militaires avait été percé.
L’allégation la plus précise dérive des mémoires du chef des services du chiffre, le colonel F. W. Winterbotham (78) , parus en 1974 :
Vers 15 heures, le 14 novembre, quelqu’un du côté allemand dut avoir une absence et, au lieu d’un nom de code, celui de Coventry fut déchiffré. C’était une chose que nous n’avions pas encore vue. Churchill était en conférence et j’informai donc son secrétaire particulier. Il restait peut-être quatre ou cinq heures avant l’attaque. Je demandai au secrétaire de bien vouloir me rappeler quand une décision aurait été prise, car si Churchill décidait d’évacuer Coventry, la presse et en fait tout le monde sauraient que nous avions eu préalablement connaissance du raid, et des contre-mesures seraient nécessaires pour protéger nos sources.
C’était le genre de décisions terribles qu’on doit parfois prendre au plus haut niveau en temps de guerre. Celle de Churchill fut incontestablement la bonne, mais je suis heureux de ne pas avoir été celui qui l’avait prise.
Il en découlerait que Churchill sacrifia sciemment la ville de Coventry pour protéger l’arme de ses services secrets. Et le sacrifice aurait été justifié.
Le bombardement fit cinq cent cinquante-quatre victimes et quelque cinq mille blessés, outre des destructions très étendues, et Coventry fut appelée « la ville martyre ». Les Allemands ne surent pas que leur code secret avait été percé – il l’était en fait depuis février de cette année-là, et son déchiffrement grâce à la machine Enigma joua un grand rôle dans les victoires alliées.
Or, tous les experts ne sont pas d’accord avec Winterbotham et la version des faits qui a prévalu dans une grande partie de l’opinion. Selon Wladislaw Kozaczuk, un membre de l’équipe de Polonais qui avait travaillé sur la machine Enigma, et un autre membre des services du chiffre anglais, à Bletchley Park, Ronald Lewin (79) , il faut garder en mémoire les faits suivants :
– trois villes avaient été désignées sous des noms de code dans les précédents messages de la Luftwaffe, et aucun de ces noms n’avait été déchiffré. Il apparut par la suite que c’étaient Coventry, Birmingham et Wolverhampton. Dans le message que mentionne Winterbotham, le nom de Coventry n’avait pas été établi avec certitude ;
– le délai pour l’évacuation de cette ville était trop court : quatre ou cinq heures. Mais l’alerte avait néanmoins été donnée aux pompiers, à la police et aux services d’ambulances. À l’heure à laquelle le message intercepté lui parvint, Churchill ne pouvait pas faire grand-chose : l’attaque de la Luftwaffe pouvait advenir d’une minute à l’autre et alerter la population de Coventry n’eût servi qu’à déclencher la panique. Quant à démontrer la férocité des nazis, nul besoin n’en était.
Un autre responsable des services de renseignements scientifiques anglais, R. V. Jones (80) , confirme le fait que le message allemand annonçant le raid, désigné sous le nom « Sonate au clair de lune », ne donnait que l’initiale du nom de la ville.
La bonne foi de Winterbotham n’est sans doute pas à mettre en cause, mais la vaste diffusion de la légende selon laquelle « Churchill a sacrifié Coventry », propagée par des gens qui n’avaient lu ni cet auteur ni les autres, montre la rapidité avec laquelle une rumeur peut s’enfler et nourrir des théories de complot. Une phrase d’expert invérifiée inspire ainsi des
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