4 000 ans de mystifications historiques
excessives : quatre mois tout juste après la mort de Benito Mussolini, le 28 avril 1945, l’un de ses pires ennemis revenait juste à côté du lieu de son supplice pour brosser des paysages ?
Les images atroces de la mort de Mussolini et de sa maîtresse Claretta Petacci avaient causé un choc dans l’opinion mondiale et, pour bien des gens, elles devaient receler quelque tragique secret. La visite prolongée de son vainqueur si près du théâtre, de la fin du Duce ne pouvait être due au hasard.
La rumeur courut bientôt que Churchill s’était entretenu à Gardone avec le menuisier qui avait fabriqué des caisses destinées à être jetées dans le lac de Garde sur les ordres de Mussolini. Elle s’enfla et s’enrichit : en réalité, Churchill serait venu à Moltrasio dans l’espoir de récupérer des lettres qu’il aurait adressées à Mussolini et qui se trouvaient dans la sacoche que ce dernier portait au flanc, avant de finir, criblé de balles comme sa maîtresse, pendu à un croc de boucher. Cette sacoche, le carteggio segreto , devint un mythe. Près de soixante-dix ans plus tard, on en discute encore dans des ouvrages argumentés et documentés.
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Selon l’historien italien Renzo de Felice (auteur d’une monumentale biographie de Mussolini, Rosso e Nero , restée inachevée), l’exécution de Mussolini aurait été hâtée par les services secrets britanniques, le SOE, contrairement aux volontés de l’OSS américain, qui aurait voulu disposer du Duce vivant afin de le juger après la guerre. Les Anglais auraient réussi à infiltrer les partisans et à les convaincre de mettre Mussolini à mort immédiatement après son arrestation. Dans quel but ? Empêcher qu’il révélât ses tractations avec Churchill. Dans deux lettres – imaginées par de Felice –, datées de 1939, Churchill aurait proposé à Mussolini d’entrer en guerre aux côtés de Hitler, dans l’intention de l’utiliser comme élément modérateur lors de la signature du traité de paix. Et, dans une autre, il aurait proposé au Duce de s’allier à l’Angleterre après la guerre pour faire front contre l’URSS.
L’analyse de ces théories ne plaide pas en leur faveur…
La résistance italienne était aux mains des communistes et ceux-ci n’étaient pas plus disposés à écouter les arguments d’agents anglais que l’avaient été les maquisards yougoslaves à la même époque, quand les Anglais étaient allés dans les montagnes pour tenter de les rallier au rétablissement de la monarchie. Les partisans de Tito les envoyèrent promener. Une conversation à Rome en 1965 avec Enrico Nassi, l’un des familiers de Walter Audisio, « colonel Valerio », le chef du commando qui s’empara de Mussolini, nous l’a confirmé.
Dès le ralliement de l’Italie à l’Axe, Mussolini était devenu un ennemi pour les Alliés, et ses troupes combattaient contre les leurs en Afrique du Nord et en Méditerranée. On peine à imaginer que Churchill, dont toute l’énergie était consacrée à remporter la victoire, ait pu, à n’importe quel moment de la guerre, adresser au Duce un message qu’il n’eût pu revendiquer publiquement après la guerre. Après son rejet par le Grand Conseil en 1943, Mussolini ne représentait plus rien en Italie et il n’aurait été utile ni à la Grande-Bretagne ni aux Alliés. Ce ne fut certes pas non plus à cette époque-là que Churchill lui aurait écrit une lettre confidentielle.
Quant à postuler qu’il y eut toute une correspondance… Étant donné les intérêts britanniques en Méditerranée, il eût fallu que Churchill fût fou à lier pour pousser l’Italie à entrer en guerre aux côtés du III e Reich et menacer le canal de Suez. C’est un canard à trois pattes. Plus absurde encore est l’hypothèse d’une autre lettre écrite après la première, invitant l’Italie à s’associer après la guerre à un front contre l’URSS : à l’époque, ce pays était lié au Reich par le pacte de Moscou, et il aurait fallu que Churchill fût doté de divination pour prévoir l’agression allemande de 1941.
Sa présence dans la région quatre mois après l’exécution de Mussolini est certes insolite et cache peut-être un secret. Mais il est sans doute très différent du scénario tortueux décrit plus haut : cela aurait pu être pour se faire raconter les circonstances de l’arrestation de son vieil ennemi, ou bien pour racheter les documents dont
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