A l'écoute du temps
pensé à mon garçon
pour l'ouvrage chez Dominion Rubber.
— Ben, restez pas
dehors à geler, madame Paquin.
Entrez une
minute, offrit Laurette en ouvrant la porte toute grande.
— Merci. Mais
juste à l'odeur, je vois que vous êtes en train de cuisiner pour les fêtes et
je voudrais pas vous retarder dans votre ouvrage. Tenez. Je vous ai apporté 258
DÉCEMBRE deux tourtières que j'ai faites hier pour vous remercier.
Elles seront pas
aussi bonnes que les vôtres, mais des fois, c'est utile d'en avoir en trop.
— Voyons donc!
protesta Laurette. Je suis pas pour vous prendre vos tourtières, même si elles
ont l'air ben bonnes.
— Prenez-les,
madame Morin. C'est la seule façon que j'ai trouvé pour vous remercier de vous
être occupés de mon Léo, vous et votre mari.
— Enlevez vos
bottes et venez au moins vous asseoir deux minutes dans la cuisine, fit
l'hôtesse qui ne pouvait faire autrement puisque la voisine s'était donné la
peine de lui apporter un cadeau. Les deux femmes passèrent dans la cuisine et
Laurette exigea de la visiteuse qu'elle retire son manteau avant de lui offrir
une tasse de thé.
— Je vous trouve
ben chanceuse d'être capable de faire de la pâte à tarte aussi belle, dit
l'hôtesse à Cécile Paquin en regardant les deux beaux pâtés à la viande à la
pâte toute dorée qu'elle venait de tirer du sac dans lequel la voisine les
avait mis. De vraies images! Faire de la pâte à tarte, c'est ma croix, madame
chose. J'ai jamais été capable d'en faire de la vraie bonne. Elle est toujours
rapiécée, jamais toute feuilletée, comme a l'air d'être la vôtre. Ma mère aussi
la faisait feuilletée. Je comprends rien là-dedans.
C'est pourtant sa
recette que je prends tout le temps, mais ça sert à rien.
— J'ai bien
d'autres problèmes, mais pas celui-là, madame Morin, dit en souriant Cécile
Paquin. Maintenant que Léo a une job, je vous dis que je trouve la vie pas mal
plus facile. Quand mon Fernand est mort il y a quatre ans, il nous a pas laissé
grand-chose, le pauvre homme. Après avoir payé le docteur et l'hôpital, il me
restait presque plus rien.
259 CHERE
LAURETTE
— Pauvre vous! la
plaignit sincèrement Laurette.
C'est sûr que ça
a pas dû être facile d'être prise toute seule pour élever un grand garçon.
Puis elle se
rappela l'avoir toujours vue, la mise soignée, l'air fraîche et dispose, et son
élan de pitié disparut comme neige au soleil.
— Ça vous aurait
pas tenté de vous trouver de l'ouvrage? demanda-t-elle hypocritement.
— C'est ce que
j'ai fait, reconnut la visiteuse.
— Et
naturellement, vous avez rien trouvé? conclut Laurette après avoir bu ime
première gorgée de thé.
— Oh non!
protesta la veuve. Pour ça, j'ai été chanceuse. J'en ai trouvé presque tout de
suite et j'en ai jamais manqué depuis ce temps-là. S'il avait fallu que j'en
manque, je sais pas ce que j'aurais fait pour payer les comptes, le loyer et le
manger.
— Ah, ben là!
vous me surprenez, reconnut franchement Laurette. Comme je vous ai toujours vu
chez vous, j'étais sûre que vous travailliez pas.
— J'ai toujours
travaillé pour un Juif de la rue Saint- Laurent. Je couds des uniformes à la
maison.
— Chez vous?
C'est pratique.
— Oui, mais je
peux vous assurer que pour se faire un salaire qui a du bon sens, il faut
coudre au moins dix heures par jour. Mon Juif m'apporte le matériel une fois
par semaine et il vient chercher ce que j'ai cousu la semaine d'avant en même
temps. Pas nécessaire de vous dire qu'il examine à la loupe chaque uniforme que
j'ai fait et, s'il y a le moindre défaut, il en profite pour me donner moins.
C'est pour ça que maintenant que Léo travaille, c'est pas mal plus facile. On
va même s'acheter un radio pour les fêtes.
— Je vous trouve
pas mal courageuse, ne put s'empêcher de dire Laurette qui avait brusquement
honte de se 260 DÉCEMBRE plaindre autant, elle qui pouvait compter sur un mari
et deux de ses enfants pour boucler son budget.
— Vous savez, je
fais juste imiter ma mère qui s'est retrouvée veuve avec six filles sur les
bras. Chez nous, sur notre petite terre de roche, en Gaspésie, il était pas
question qu'on se lamente pour rien. Il fallait retrousser ses manches et
travailler d'une étoile à l'autre.
Laurette se leva
pour aller touiller ce qui cuisait sur le poêle.
— Bon.
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