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Aïcha

Aïcha

Titel: Aïcha Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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joues. Pour la première fois depuis des jours, je voulus parler. Impossible. Ma voix était enfouie loin dans ma gorge. J’eus peur. Je devais avoir un visage très laid. Peut-être mon époux avait-il tout deviné depuis longtemps. Ses lèvres me parurent fines et légères, telles les ailes d’une hirondelle. Peut-être souriait-il un peu. Peut-être se moquait-il.
    Il s’inclina, m’emplissant de son parfum. Sa bouche chercha mes tempes. Son souffle caressa mon oreille.
    — Ne sois pas si orgueilleuse, chuchota-t-il. Qui es-tu pour dresser ta colère contre Allah ? Pourquoi douter ? Il te voit et te soutient. Aucune épouse ne possède autant de bonheur dans ses paumes.
    Je voulus agripper sa nuque. Il était déjà debout. Il souleva la portière de ma chambre. Barrayara l’attendait. Je les entendis discuter tout bas. Je ne fis pas l’effort de chercher à comprendre ce qu’ils se disaient. J’étais bien trop dans la confusion de mes émotions.
    Muhammad connaissait tout de mes faiblesses. Il en souriait et m’enveloppait de son amour. Quelle douceur prodigieuse ! Il avait raison. Quelle enfant j’étais !

3.
    Le matin suivant, Barrayara m’obligea à me lever et annonça qu’elle m’installait dans sa couche. Ma mère Omm Roumane protesta aussitôt :
    — Aïcha ne pèse plus rien, lui répondit Barrayara. Quel époux pourrait la désirer ? Il est temps que ça cesse. Moi, je sais comment la guérir.
    Elle ajouta que je ne devais pas rester à macérer dans ma chambre. L’Envoyé y avait ordonné des travaux.
    — Des travaux ? Maintenant ? s’offusqua ma mère.
    — Le Choisi d’Allah sait ce qu’il fait, répliqua Barrayara, coupant court à la discussion avec son assurance et sa brusquerie habituelles.
    À moi, elle n’en dit pas plus. Elle m’allongea près d’elle dans la chambre commune des servantes. Sans doute leur avait-elle fait la leçon. Elles allaient et venaient en prenant soin de m’ignorer.
    Barrayara me contraignit à boire un gobelet de soupe et à avaler un peu de bouillie d’orge pilée. Je me laissai faire. Mon ventre trembla de recevoir tant de nourriture. D’avoir été debout un instant me laissa pantelante, aussi bien que si j’avais couru d’un bout à l’autre de l’oasis.
    Je m’endormis pour me réveiller au coeur de la nuit. Les ronflements saccadés de Barrayara vibraient à mon côté. La nourriture avalée m’avait redonné un peu de clarté d’esprit.
    Tout me revint. La visite de mon époux, les mots de Barrayara à ma mère. La crainte d’être entendue par les servantes me retint un moment. Puis je cédai à l’impatience et je réveillai Barrayara, la secouant dans l’obscurité jusqu’à ce qu’elle proteste :
    — Qu’y a-t-il, tu n’es pas bien ?
    Je ne parvins qu’à bredouiller des mots informes. Ma voix paraissait perdue tout au fond de ma poitrine.
    — Tu as faim ? Il y a une écuelle de lait d’orge près de toi…
    — Non… Je veux…
    — Ah, mais c’est que notre princesse a retrouvé sa voix ! grinça-t-elle.
    Elle était enfin tirée du sommeil. Son ton était plus moqueur que surpris.
    — Je veux te parler, répétai-je, d’une voix enfin compréhensible.
    — Maintenant ? Ça ne peut pas attendre le jour ?
    — Maintenant.
    Barrayara soupira. Ses mains chaudes trouvèrent mon visage dans le noir. Elle me caressa affectueusement. Une caresse que je connaissais bien, apaisante, rassurante, et qu’elle avait eue des centaines de fois lorsque j’étais enfant.
    Puis ses doigts quittèrent mon visage. Elle se retourna à plat dos, agrippa ma main droite et la posa sans la lâcher sur son ample poitrine.
    — Parle, je t’écoute. Mais parle bas. Inutile de réveiller les filles.
    Je lui expliquai tout. Les raisons de ma fausse maladie, ma honte d’avoir menti à mon époux, l’aveu que je lui avais fait, sa réponse étrange, ma crainte de demeurer une femme sèche moquée par tous.
    Ma voix bourdonnait tout bas dans la chambre, rauque, me laissant la gorge douloureuse. Quand je me tus, Barrayara grogna :
    — C’est pour me confier ce grand secret que tu me réveilles ? Crois-tu que nous ne l’avons pas deviné depuis longtemps, ton époux et moi ?
    Sous l’ironie de Barrayara, je devinai le soulagement. Je répondis seulement :
    — J’ai soif. J’ai la bouche sèche.
    — Et comment, tu dois avoir la bouche sèche ! grinça Barrayara en quittant la couche. Dire tant de

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