Aïcha
disait-il.
Quand il me parlait d’Abu Sofyan, Muhammad adoptait un ton plein d’ironie :
— La vérité est qu’il n’est pas pressé de se retrouver devant moi. Je le connais bien. Il est pétri de ruse et de fourberie. De sa part, rien ne me surprendra jamais. J’ai gardé la nimcha qui prouve sa traîtrise envers mon oncle Abu Talib. Le jour viendra où Dieu rendra Son jugement. Abu Sofyan n’a nul désir de le connaître. Mais qu’il le veuille ou non, les hyènes qui l’entourent le pousseront vers nous.
Deux jours plus tôt, Abu Hamza avait appris qu’après le bannissement des Banu Qaynuqâ loin de Madina, l’un des chefs des Banu Nadir, l’autre tribu juive, s’était rendu à Mekka afin d’ameuter la population. Il avait fait grand bruit à la Ka’bâ.
— Il s’appelle Ka’b ibn Aschraf, poursuivit mon époux. C’est un Juif des Banu Nadir. Il marchait avec la fille de la folle Açma bint Marwân. Il a voulu monter les Banu Nadir contre moi. ‘Abdallâh ibn Obbayy l’en a empêché. Ka’b ibn Aschraf est allé à la synagogue pour cracher sa haine contre nous. Les rabbis ont refusé de l’écouter. Il a sauté sur un chameau et couru à Mekka. Abu Sofyan a voulu le calmer. Ibn Aschraf l’a insulté, l’accusant d’oublier son devoir envers son propre fils mort à Badr et envers le père de son épouse, Hind bint Otba. Il s’est installé dans la Ka’bâ pour appeler au sang contre nous et célébrer la mémoire des morts. Il a si bien répandu son poison que les Mekkois ont commencé à traiter Abu Sofyan de lâche.
Afin de calmer les criards, Abu Sofyan était allé à son tour dans la Ka’bâ. Il avait prié ses faux dieux et assuré qu’il ne connaîtrait ni paix ni répit tant que les morts de Badr ne seraient pas vengés.
— Ce n’est qu’une posture, reprit Muhammad. Je ne m’en soucie pas. Mais la fourberie d’Abu Sofyan pourrait coûter, inutilement, des vies. Si cet ibn Aschraf le pousse à bout, il lui faudra réagir, ou il perdra la face dans tout le Hedjaz. Ce traître ne nous affrontera jamais en pleine lumière. Il a trop peur de nous. Ce n’est qu’un scorpion sous la pierre. Il piquera dans l’ombre, et seulement les plus faibles. C’est pour cela que j’ai ordonné à Zayd et à Talha de choisir chacun une cinquantaine d’hommes et de sillonner les routes de Mekka. Ils doivent s’assurer que les mercenaires d’Abu Sofyan n’y rôdent pas, conclut mon époux tant aimé.
Aujourd’hui, je sais ce qu’était la véritable inquiétude de Muhammad et qu’il ne me confiait pas. Les victoires et les butins avaient adouci la vie des Croyants de Madina tout en aiguisant la crainte et la jalousie. Devant la puissance des guerriers d’Allah, nos ennemis se taisaient et baissaient les yeux. Cette même puissance, cependant, enivrait les Croyants et amollissait leur vigilance. Muhammad savait qu’il suffirait d’un moment de faiblesse, d’une sournoiserie de nos ennemis pour que les têtes mauvaises se redressent.
Mais cette nuit-là, en vérité, je n’avais que le désir d’alléger les soucis de mon époux. La vanité de ma jeunesse était sans bornes. Je me souvins de ce geste de ma mère qui m’avait impressionnée peu de temps auparavant. Je quittai le côté de mon époux et m’approchai du tréteau soutenant sa cuirasse et ses armes. J’en caressai les cuirs et les incrustations précieuses.
— Bien-aimé, je ne suis qu’une femme de rien, sans connaissance de ces choses, mais j’entends ce que murmure notre maisonnée. Des paroles de fierté et de confiance. Il y a des cuirasses et des armes dans toutes les demeures de Madina. Ceux de Mekka le savent. Qui dans le Hedjaz ignore que les épées, les lances, les arcs et les flèches, les cuirasses et les cottes de mailles des Banu Qaynuqâ sont entre les mains de l’Envoyé d’Allah ? Qui osera, à part un fou comme ibn Aschraf, se placer au côté d’Abu Sofyan pour t’attaquer, même avec la ruse d’un chacal ? Demain, Zayd et Talha reviendront et te le confirmeront. Ils n’auront vu sur les routes de Mekka que des scorpions sans dards ni pinces. Alors, pourquoi t’inquiéter au point de creuser tes rides jusqu’au coeur de la nuit quand tu pourrais rejoindre ton épouse sous les couvertures neuves ?
Quelle naïveté ! Quelle arrogance ! Il fallait bien avoir mon âge pour oser pareille provocation !
Mon époux en demeura bouche bée. Ses sourcils haut
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