Alias Caracalla
déjeuner chez mes grands-parents, près d’Aguilera. Lorsque ma famille parlait de lui en ma présence, elle
baissait la voix. Ma grand-mère hésitait à l’inviter avec
ses dernières conquêtes, tant elle avait été échaudée
par l’arrivée de femmes toujours différentes et toujours trop excentriques pour le standing de ses réceptions. Afin d’éviter tout faux pas, elle ne le recevait
qu’aux repas de famille. Bien que les tableaux que
nous possédions de lui fussent d’inoffensifs paysages du Pays basque, Ribera avait une réputation
sulfureuse de Don Juan. Elle entretint durant ma
jeunesse le fantasme d’un métier inavouable.
C’est pourquoi je ne comprends pas que * Rex
choisisse une profession si voyante et certainement
suspecte aux yeux de la police. Elle me paraît sans
rapport avec la prudence qu’il manifeste en toute
occasion. Alors que je me permets de lui en faire la
remarque, il rit de ma naïveté : « Détrompez-vous,
mon cher * Alain, le plus voyant est toujours invisible.
Personne ne soupçonnerait Picasso d’être un espion. »
Ignorant qui est Picasso, je me tais, comme d’habitude.
Depuis cette remarque, je regarde * Rex avec
d’autres yeux. Son teint hâlé, son élégance désinvolte ne trahissent-ils pas le style d’un Don Juan ?
Cette idée m’effleure sans que je m’y attarde. Pourtant, je suis obligé d’admettre que, si son visage ne
ressemble en rien à celui, buriné, de mon oncle, il y
a dans leur allure, dans leur charme, une certaine
parenté.
Lundi 7 septembre 1942
Les Alsaciens-Lorrains chez de Gaulle
Le BCRA n’a pas répondu à ma demande de schedule pour Jean Holley. De ce fait, ce dernier ne peut
toujours pas prendre contact avec la Home Station .
Londres a multiplié les admonestations. Ainsi, le
1 er septembre :
En première urgence. Faites régler question
contact des postes de Léo.W [Holley], Sif.W et
Bip.W [moi-même]. Ne comprends pas qu’aucun
des postes ne réussisse à prendre contact. […]
Poste Kim.W [Brault] ne peut continuer à assurer
seul tout le trafic qu’il est indispensable ralentir
au minimum.
Comme solution provisoire, le BCRA a proposé à
*Rex d’utiliser l’excellent radio de *Salm, mon camarade Maurice de Cheveigné. * Rex m’a demandé
d’organiser un rendez-vous avec * Salm et de communiquer à Londres un mot de passe pour préparer
cette rencontre. En revanche, * Rex n’a pas réponduau sujet du silence des trois radios. Le BCRA est
donc revenu à la charge auprès de Bidault en lui
demandant de réduire son trafic « jusqu’à contact
de Bip. W », ajoutant : « Pourquoi Bip.W ne prend-il
pas contact ? » Visiblement, le capitaine * Bienvenue
ignore ma nouvelle affectation. En porte à faux avec
le BCRA, qui me croit toujours radio de Bidault, et
non secrétaire de * Rex, je commence à m’inquiéter.
Quand j’apporte le câble à * Rex, il me demande
de préparer une réponse. Le soir, je lui remets un
texte rédigé avec Paul Schmidt dans lequel nous
expliquons que, depuis un mois, nous essayons de
prendre contact aux heures indiquées : « Les postes
anglais n’émettent pas ou sur mauvaise fréquence.
À ces heures, impossible à poste Kim d’entendre poste
émetteur anglais. Nombreux messages à ce sujet
échangés entre poste Kim et anglais. Aucun résultat. »
Dans ce télégramme, je n’ai pas osé répéter ma
nouvelle affectation déjà annoncée par * Rex dans
son courrier du mois d’août. Je suis soulagé de voir
que * Rex, après avoir lu le câble, ajoute une ligne de
sa main, sans doute pour justifier mon silence auprès
de mes supérieurs. Au lieu de cela, je lis avec inquiétude : « Voulez-vous demander aux Anglais s’ils se
moquent de nous ? Il faut en finir avec l’incompétence des bureaux ! »
En vue de son prochain départ pour Londres en
compagnie des chefs des mouvements, * Rex effectue
de nombreux déplacements en province. Il voyage
de terrain en terrain après des échecs répétés d’opérations aériennes ou maritimes. Durant ses absences, je croule sous le travail. De plus, je n’ai recruté
aucun courrier et suis toujours seul responsable de
toutes les liaisons.
Lors d’un passage de * Rex à Lyon, j’ai organisé
chez Mme Bedat-Gerbaut une première rencontre
entre lui et M e Paul Kalb, qui représente les réfugiés
alsaciens-lorrains.
J’avais établi ce contact par le biais de Mme Moret.
Durant mon
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