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Alias Caracalla

Alias Caracalla

Titel: Alias Caracalla Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Cordier
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deux, nous sommes
invulnérables.

    Après un silence, il ajoute mystérieusement :
« Viens me chercher ce soir à 11 heures. »

    J’ai passé une partie de l’après-midi à coder des
télégrammes. Ce soir, je rejoins * Rex à la brasserie Georges pour un dîner avec Robert Lacoste, un syndicaliste de la CGT que * Rex a choisi pour devenir
membre du CGE. Je dois organiser avec lui une
liaison régulière à Thonon, où il est percepteur.

    En compagnie de * Rex, j’aime venir chez Georges .
Spectacle permanent et renouvelé : les voyageurs se
succèdent, solitaires, en couple, en famille, tous
pressés, entourés de bagages ou d’enfants jouant
entre les tables. Cette salle en courant d’air ressemble à tout sauf à un haut lieu de la conspiration. Le
brouhaha se perd dans la haute voûte et forme une
houle indistincte brouillant les conversations.

    Je m’installe à une table rencognée. Quelques minutes plus tard, * Rex arrive, accompagné d’un homme
jovial et rond, Robert Lacoste. Selon un rituel invariable, nous commandons le repas, tout en découpant
les tickets d’alimentation correspondants. * Rex a toujours un mot aimable pour les serveurs. La manière
dont il me conseille tel ou tel plat ressemble plus
aux relations d’un père attentif qu’à la complicité de
« terroristes », selon la terminologie de Vichy.

    L’absence des mouvements dans les grèves en
cours et l’initiative des communistes pour récupérer les militants l’exaspèrent. Comme souvent, c’est
Bidault qui lui a appris ce qu’il sait de cette affaire.
Lacoste accuse Morandat d’incompétence. Celui-ci
étant sur le départ, je comprends qu’il cherche déjà
un remplaçant.

    Je remarque que * Rex ne critique pas Morandat,
selon son habitude, mais au contraire énumère ses
réussites. Il rappelle ses efforts pour créer le Mouvement ouvrier français (MOF) et le succès qu’il a
obtenu le 1 er  Mai, moins net malheureusement que
le 14 Juillet, à cause du refus des communistes de
se rallier. L’organisme était en sommeil parce qu’il
était en instance de départ lorsque les grèves ont
éclaté, d’où le flottement dans l’orientation du mouvement et les risques de dérive sous la coupe des
communistes.

    J’observe Lacoste  : il a l’apparence d’un bon vivant
sympathique. Lorsqu’il répond à * Rex, il me regarde
de temps à autre, comme si cette conversation me
concernait. J’y suis sensible, car ce n’est pas toujours le cas avec d’autres responsables. * Francis,
par exemple, bien que syndicaliste, est méprisant.
Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi infatué
de lui-même.

    « Que pensez-vous de la situation ? » demande
*Rex. Lacoste déplie tranquillement sa serviette,
puis le regarde dans les yeux : « Explosive et imprévisible. » Sans doute cherche-t-il un effet. * Rex
demeure impassible. « Vous savez peut-être qu’à
l’heure où nous parlons se tient une réunion entre
divers représentants des mouvements et du parti
communiste pour lancer un appel à la grève générale. Je ne sais ce qui sortira de ces palabres. »

    *Rex me semble écouter avec une attention plus
soutenue qu’hier. Pourtant, à quelques mots près, le
diagnostic est identique. Lacoste est un homme de
terrain : il a le pouvoir de modifier le cours des événements. Je sens entre * Rex et lui un accord muet.
Lacoste explique l’opposition entre les syndicalistes
et les mouvements, les premiers refusant d’être dirigés par les seconds. Le défaut du MOF est, selon
lui, d’avoir créé un nouveau syndicat en éliminant
les anciens syndicalistes. Son échec (car pour lui,c’en est un) tient avant tout au manque de liaison
avec les états-majors des mouvements. Ce discours
rejoint les critiques de * Rex à l’encontre de Morandat.
Mais * Rex ne commente pas.

    Robert Lacoste propose une solution : former
avec les syndicalistes une section autonome de la
Résistance, soumise directement à l’autorité du
Comité national de Londres. En leur nom, il entend
rester maître de son action, mais obtenir des moyens
qui ne soient pas ridicules. Il insiste sur la nécessité
de maintenir le contact entre les ouvriers partis en
Allemagne, victimes de Vichy, et ceux demeurés en
France.

    Son analyse est rythmée comme les pages d’un
livre : il n’y a aucun raté dans son élocution ; les mots
sont choisis, les phrases balancées. Son absence de
flamme et d’improvisation

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