Alias Caracalla
situation et prendre des initiatives
en conséquence. Ne recommencez pas ! » Sa voix
est méconnaissable, tranchante, sans appel : je suis
atterré par l’étendue de ma négligence. Je n’ai pas le
temps d’épiloguer, car il enchaîne, se plaignant que
personne, parmi les mouvements, n’ait obtenu le
moindre indice sur cette opération, bien qu’ils ne
manquent aucune occasion de se targuer de leurs
antennes au sein de l’armée d’armistice ou de leurs
contacts avec Giraud.
Quant à lui, c’est à l’heure du déjeuner, chez des
amis, qu’il a appris le débarquement par la radio
nationale. * Rex est impatient de rencontrer Bidault,
qui écoute la BBC, Alger et les radios étrangères et
qui dispose de renseignements glanés à Vichy même.
Quand nous rejoignons ce dernier au restaurant, il
a rajeuni. Toute la journée, il s’est dépensé sans
compter pour connaître les réactions de l’entourage
du Maréchal, du gouvernement, de l’armée. * Rex lui
demande à brûle-pourpoint : « Quelles sont les consignes du Général ? »
Bidault, d’abord surpris de la question — « Le
Général n’est pas intervenu à la BBC et n’a donnéaucune consigne » —, retrace ensuite cette journée
historique telle qu’il l’a vécue.
Vers 3 heures du matin, la personne chargée
d’écouter la BBC en permanence a capté une suite
de messages des autorités anglaises et américaines
annonçant le débarquement sur les côtes d’Afrique
du Nord de forces américaines appuyées par la
marine et l’aviation britanniques, placées sous le
commandement d’un général américain inconnu,
Eisenhower. Celui-ci, s’adressant à la population, a
précisé que ses troupes venaient « en amies pour
faire la guerre contre vos ennemis », ajoutant : « La
guerre est entrée dans la phase de la Libération. »
*Rex l’interrompt : « A-t-il été fait mention des
Forces françaises combattantes ?
— Non.
— Peut-être sont-elles tenues en réserve pour une
opération directe sur Dakar ou sur les côtes de la
France ? »
Selon Bidault, un autre porte-parole a mis en
garde les auditeurs : « Le moment n’est pas encore
venu de faire appel au peuple français dans son
ensemble. »
Après avoir réfléchi, * Rex estime qu’il est trop tôt
pour saisir le cours des événements. L’armée de
Vichy est-elle capable d’écraser les Américains et de
verrouiller la tête de pont ? Pour ce qui concerne
les mouvements, il se dit persuadé que, dans leur
état présent, ils sont incapables d’aider les Alliés.
Il en vient à se demander si l’objectif de ces derniers n’est pas d’éliminer de Gaulle. Le départ de
Giraud, son refus de rencontrer le représentant du
Général ne prouvent-ils pas que tout est préparé
depuis longtemps ? Pour la première fois, il évoque
les difficultés de De Gaulle avec les Américains etles Britanniques : depuis l’armistice, Roosevelt ne
cesse de le dépeindre en « apprenti dictateur ».
Comme toujours, je ne dis rien, mais je pense à
mes camarades d’Old Dean. Ils seraient horrifiés,
comme je le suis, d’entendre de telles accusations
contre notre chef. Bidault va dans le sens de * Rex
en lui rappelant que Camille Chautemps et surtout
AlexisLeger 2 , homme d’influence à Washington,
mènent depuis l’armistice une féroce campagne
contre le Général.
Selon * Rex, cela n’augure rien de bon : « Les
Américains ont toujours traité avec Vichy ; ils continuent. Si Darlan leur livre la flotte, Giraud l’armée et
le Maréchal la France et l’empire, l’avenir du Général
et de la Résistance est sombre. » Il ajoute : « Tout
dépend de la rapidité des Américains à conquérir
l’Afrique et de la riposte des Allemands. »
Il est persuadé que le général Giraud est l’homme
des Américains et que son projet est de devenir le
chef de la Résistance européenne. Il conclut : « Il
est d’autant plus impératif que les mouvements fassent bloc derrière le général de Gaulle. Ils doivent
envoyer un message aux Américains pour les convaincre que c’est le seul chef de la Résistance. »
Se tournant vers Bidault, il clôt la discussion :
« Êtes-vous libre à déjeuner demain ? » Il propose de
se retrouver chez Georges , à 1 heure. Il me demande
ensuite d’établir une liaison permanente avec
Bidault et d’organiser tous les soirs un dîner de travail : « N’oubliez pas de
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