Alias Caracalla

l’Alliance démocratique.

    — Si vous êtes d’accord, j’irai voir Louis Marin
directement à Vichy. »

    *Rex acquiesce. Bidault reprend : « Restent les
socialistes et les communistes.

    — Puisqu’ils appartiennent à la Résistance, je
n’aurai aucune difficulté à obtenir leur signature.

    — Je ne serais pas si optimiste : seul le Comité
central peut vous accorder la signature du parti ; or
il est à Paris. Ce sera long, et puis avec eux c’est
toujours mystérieux et compliqué.

    — Entre Darlan, Giraud et le Général, les communistes n’hésiteront pas. En dépit de leurs erreurs
passées, ils comprendront où est leur intérêt  : il serait
surprenant que Darlan libère leurs députés internés
en Algérie. Pour moi, il n’y a aucune ambiguïté :
seuls les mouvements représentent légitimement la
France. Croyez-moi, les parlementaires seront fiers
qu’après leur conduite à Vichy la Résistance se soucie encore d’eux. »

    *Rex trace à grands traits le contenu du message
qu’il a écrit : félicitations aux Alliés pour la libération
de l’AFN ; reconnaissance de Giraud comme chef
militaire ; affirmation du Général comme « chef
incontesté de la Résistance » ; condamnation du ralliement des traîtres militaires et politiques ; remise de
l’autorité gouvernementale au général de Gaulle. Ilajoute : « J’ignorais le rôle de Darlan quand je l’ai
rédigé. Même si cela se confirme, c’est un traître.
Nous devons le condamner. »

    Bidault approuve le texte. Peut-être en s’abstenant
de le corriger, contrairement à son habitude, est-il
conscient de la nécessité de l’expédier de toute
urgence ? * Rex souhaite aussi qu’il adresse aux Alliés,
« à titre personnel », un télégramme plus polémique : Pourquoi la République n’est-elle pas rétablie
à Alger ? Pourquoi le préfet et le maire d’Alger, nommés par Vichy, sont-ils toujours en fonction ? etc.
« N’hésitez pas à crier auscandale 3 . »

    Après avoir quitté le restaurant, * Rex me remet
son message pour le faire dactylographier, daté
d’aujourd’hui : « Apportez-m’en dix exemplaires
demain matin. » Je file aussitôt chez * Mado et lui
demande de me les faire parvenir dans la soirée par
le biais de * Germain.

    Mardi 10 novembre 1942

     

    Dans l’« expectative »

    Depuis le débarquement, les « événements » sont
devenus l’unique sujet de nos conversations entre
camarades. Notre ignorance des faits précis fouette
notre imagination. Pour tous, c’est l’époque des hypothèses. Une question, surtout, focalise craintes et indignation : Pourquoi de Gaulle n’est-il pas à Alger ?

    *Rex résume ce matin ce que nous pensons tous
plus ou moins clairement, en particulier sur le choixde Darlan, qui semble être devenu le seul interlocuteur des Américains : « Darlan n’est pas Giraud :
c’est un vieux routier de la politique. Il a négocié
avec Hitler la collaboration militaire de la France et,
aujourd’hui, l’arrêt des combats avec les Américains.
Talleyrand n’aurait pas désavoué. »

    Je lui communique un télégramme que Cheveigné a
capté blind . Déception : c’est le résumé du discours
de De Gaulle prononcé l’avant-veille. Seule nouveauté,
le message s’achève par des mots d’ordre :

Concentration nécessaire dans le plus bref délai
possible à l’intérieur de la France combattante sur
bases suivantes : primo, libération de l’ennemi et
des traîtres —  secundo , restauration intégrale de
la souveraineté nationale sur territoire métropolitain — Gardez expectative .

    Cette dernière phrase s’adresse à * Rex.

    À la BBC, Maurice Schumann a appelé les Français
à manifester le 11 Novembre, associant les consignes
de * Rex à celles de la France combattante : « Rassemblement à midi dans les deux zones et défilé l’après-midi jusqu’à 7 heures en zone libre. » Schumann met
en garde les résistants contre une impatience patriotique. Il répète l’avertissement diffusé précédemment  :
« Attention, l’heure de l’insurrection nationale n’a pas
encore sonné. »

    Contrairement à la BBC, les journaux de Lyon
que j’apporte à * Rex diffusent l’interdiction par Vichy
de toute manifestation le 11 Novembre. « Ça m’étonnerait que les Français y renoncent si facilement ! »
C’est sa seule réaction. Visiblement, il pense à