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Alias Caracalla

Alias Caracalla

Titel: Alias Caracalla Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Cordier
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l’attente d’une invasion allemande. Pour
occuper ma solitude, et n’ayant pas pris mon cahier,
j’écris sur une feuille de papier du bureau ma « lettre » quotidienne à Domino.

    Les thèmes n’ont pas beaucoup changé depuis
mon départ : regret de ne pas avoir su lui exprimer
mon attachement, tristesse de notre séparation, espoir
du retour, fidélité éternelle…

    Romantique par nature, littéraire par curiosité,
immature en toute occasion, je lui affirme qu’elle
est le seul but de mon existence. Comment puis-je
oublier que l’amour de la patrie m’a imposé de partir en sacrifiant ma passion pour elle ? Même si les
deux sentiments sont de nature différente, je ne
peux nier que le premier l’a emporté sur l’autre.

    N’est-ce pas un remords que je psalmodie depuis
lors ?

    Depuis l’Olympia, je rencontre souvent Alain
Rödel. Après la soupe, il a pris l’habitude de me
raccompagner à ma barrack . Nous bavardons de
tout et de rien, cherchant parfois à imaginer les
réactions à la défaite de nos camarades de Saint-Elme.

    Aujourd’hui, j’évoque Fred Anastay, qui ne m’a pas
rejoint à Pau comme prévu. A-t-il trouvé un bateau
à Saint-Jean-de-Luz, un passage parl’Espagne 3  ? A-t-il
été arrêté par les Allemands ?

    « Il avait une patience d’ange, me dit un soir
Rödel.

    — À quoi fais-tu allusion ?

    — Tu as oublié ce que tu lui as fait subir ? Tu le
torturais. Il acceptait tout en souriant, même au
bord des larmes. »

    Je rougis. C’est la première fois qu’un camarade
évoque ce passé que je croyais secret. Brusquement,
je me souviens que Rödel nous avait surpris un jour,en classe, alors que nous étions tous les deux seuls.
Fred était assis, les jambes pendantes, sur un pupitre, tandis que je le frappais avec une règle sur ses
genoux nus. En dépit de la souffrance visible, je
n’obtenais pas le moindre gémissement de sa part,
ce qui m’incitait à frapper de plus en plus fort. Seule
la fin de la récréation avait marqué celle du supplice.

    Rödel n’a rien oublié. En revanche, il ignore tout
de Domino. Comment lui faire comprendre que mon
passé de collégien solitaire est révolu et qu’aujourd’hui j’aime la plus belle fille du monde ? Le reste a-t-il jamais existé ?

    Un soir, Rödel m’annonce : « Il faut que tu viennes dans ma barrack . Il y a un type qui t’intéressera.
Il ne partage pas tes opinions, mais il est passionnant : c’est un professeur de Toulouse qui a écrit un
livre savant.

    — Un professeur ? Ce n’est pas ma tasse de thé.

    — Tu as tort. Bien qu’il soit universitaire, il est
très gentil. »

    Quelques jours plus tard, je traverse le parad ground pour rejoindre Rödel. Sa barrack est presque vide.
Assis sur un lit, entouré de quelques volontaires, un
homme bavarde.

    Rödel me présente : « Mon ami, Daniel Cordier. »
L’homme me tend la main avec un regard amical :
« Raymond Aron. »

    Je suis étonné par son grand âge : il a au moins
35 ans.

    La discussion n’a rien d’original : Fallait-il demander l’armistice ou partir en Afrique du Nord ?Commencée à Anerley, répétée à l’Olympia, elle se
poursuit à Delville Camp. Aron, attentif, écoute les
arguments des uns et des autres. Nous étions tous
partisans du transfert de l’armée en Afrique du
Nord afin de poursuivre la guerre. Aron explique que
la question essentielle n’est pas celle que nous
posons, puisqu’il n’y avait pas, selon lui, d’autre
solution pour la France que le départ en Afrique du
Nord et la guerre jusqu’à la victoire.

    Il expose l’incapacité des militaires à préparer la
guerre de mouvement faute d’imagination dans le
choix des armes et des stratégies, la démission des
milieux politiques, qui ne représentaient plus rien
au moment où il fallut décider de la survie de la
nation. Enfin, on ne devait pas négliger le défaitisme des milieux bourgeois et capitalistes, qui craignaient par-dessus tout le danger communiste.

    Accessoirement, Raymond Aron condamne le rôle
néfaste de l’information. Muette jusqu’au dernier
jour sur l’ampleur de la catastrophe, elle a laissé le
pays dans l’ignorance du désastre, empêchant toute
réaction populaire. À ses yeux, le symbole de ce désastre est la présence d’un seul général à Londres — « à
titre temporaire », révèle-t-il —, qui a choisi, parmi
toute l’armée française, l’unique attitude

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