Alias Caracalla
moins un Boche
ce soir. »
Soudain un cri fuse non loin de moi qui me fait
sursauter. Les Boches ?
Le lieutenant est devant moi et crie : « Fin del’alerte ! Rassemblement de la 3 e section derrière
moi. » Comme un écho, l’ordre se répète de proche
en proche. Des ombres se lèvent de tous côtés, reformant la section derrière le lieutenant, dressé au
milieu du chemin.
Notre retour est plus silencieux encore que notre
arrivée : frustration d’un rendez-vous manqué. Nous
avons cru naïvement au bonheur de la guerre, quand
ce n’était qu’un exercice de nuit. Les félicitations que
nous adresse le lendemain le commandant Hucher
nous sont de piètre consolation.
Samedi 10 août 1940
Les vingt ans d’un proscrit
En rentrant dans la chambrée, aux alentours de
minuit, nous n’avons plus sommeil. Nous reprenons
espoir en échangeant nos impressions : cet exercice
préparatoire prouve que le vrai débarquement allemand s’effectuera les prochains jours. Chacun expose
sa théorie avec volubilité.
Tandis que Berntsen écoute la TSF, Briant grignote
une barre de chocolat et Léon astique ses chaussures… Je prends mon cahier pour noter ce que je
suis seul à savoir : depuis minuit, j’ai vingt ans. Pour
marquer ce jour, je recopie une phrase de De Gaulle :
Ne valent, ne marquent, ne comptent que les
hommes qui savent penser, vouloir, agir au
rythme précipité de la catastrophe qui nous mène .
Lundi 12 août 1940
Désigné chauffeur, une planque
Courant août, notre section est dotée de trois
camionnettes Peugeot récupérées sur le stock de
l’expédition de Norvège. Ma vie en est modifiée.
Je suis l’un des rares volontaires à posséder un
permis de conduire. Je suis donc affecté au véhicule
attribué à mon groupe, avec pour mission de l’entretenir. À l’occasion de certains exercices d’ensemble de
la compagnie, je transporte le groupe. Je dois aussi
faire l’instruction d’apprentis conducteurs, expliquer le fonctionnement du moteur, les pannes courantes, etc.
Avant de nous lancer sur les routes, périlleuses à
cause de la conduite à gauche, j’emmène mes élèves
en forêt. Dans les parties débroussaillées, je les
entraîne à manœuvrer entre les arbres. Comment
n’ai-je pas laissé une aile ou une partie de la caisse
dans ces figures ? Sans doute est-ce le secret des
innocents.
Sur la route du départ ou du retour, nous croisons
des convois de véhicules anglais tout-terrain flambant neufs. Les soldats anglais nous font des signes
amicaux au passage, bien qu’ils soient surpris par
l’aspect rachitique de nos camionnettes, dont seul
le camouflage signale l’usage militaire. À elles seules, elles symbolisent le naufrage de la France.
Mardi 13 août 1940
Piqûre mortelle ?
Nous sommes vaccinés auTAB 8 . Les légionnaires
nous ont assuré que la piqûre pouvait être mortelle.
Il y a de quoi s’inquiéter.
Après l’avoir reçue, comme mes camarades, je rentre dans la chambrée, peu rassuré, et me met au lit,
guettant l’issue fatale. Dans ce lieu toujours animé,
un silence inhabituel s’est appesanti jusqu’à l’arrivée du lieutenant Saulnier, venu aux nouvelles.
Stupéfait de nous voir allongés sur nos lits, il
s’écrie : « Pourquoi êtes-vous couchés ? » Nous
n’osons lui expliquer les raisons que nous avons
peur de nous avouer à nous-mêmes. L’un de nous
finit par révéler la vérité. Il s’esclaffe : « Si vous croyez
ces contes à dormir debout, la guerre n’est pas
gagnée. Essayez de comprendre : on vous recommande de ne pas boire d’alcool le jour de la piqûre
parce que l’alcool peut provoquer des réactions
négatives. Pour le reste, profitez de cette journée de
repos sans faire d’excès. »
Il n’a pas besoin de le répéter. Avant même qu’il
ait quitté la chambrée, tout le monde s’agite en tous
sens…
Jeudi 15 août 1940
Entendu à la radio
Le journal du camp ronéotypé distribué fin juillet
a changé de titre à notre demande. Il est devenu Nouvelles de France et du monde , puis Bulletin
d’informations des volontaires français .
La présentation n’a pas changé : état de la bataille
aérienne en cours, informations sur les préparatifs
d’invasion allemande, sur l’occupation allemande en
France, le régime de Vichy, ses mesures administratives et policières, etc.
Au fil des semaines, la BBC offre un
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