Amours Celtes sexe et magie
l’existence nécessaire au sein d’une société et la liberté d’aimer. Les mythes celtiques sont à cet égard parmi les plus émouvants et les plus significatifs. Ils nous enseignent vraiment l’amour sublime, l’amour total, même si les héros de légende ont parfois de bien tristes destinées. Au moins, ils ont essayé de secouer le joug, ils sont allés le plus loin possible. Mais leur échec apparent n’est pas forcément l’échec de l’amour.
La première branche du Mabinogi gallois a pour héroïne une certaine Rhiannon, image d’une antique déesse-mère, et dont le nom signifie « royale ». C’est donc la Grande Reine. Cependant, toute déesse qu’elle est, elle tombe amoureuse du roi Pwyll, et vient rôder tous les jours sur son cheval autour de la demeure du roi, dans l’espoir de voir celui-ci se précipiter vers elle. C’est ce qui se passe en effet, mais Rhiannon s’enfuit chaque fois que Pwyll se lance à sa poursuite, évidemment pour mieux se laisser attraper à ce véritable jeu du désir. Elle rêve à un amour sublime. Et, après de nombreuses semaines, elle réalise son rêve et épouse le roi Pwyll.
Tout serait donc pour le mieux, mais lorsqu’elle devient mère, elle perd tout son pouvoir de séduction et il lui arrive les pires mésaventures. Son fils Pryderi lui est enlevé une nuit, et elle est accusée d’infanticide. Pour son châtiment, elle devra porter sur son dos, comme une jument, tous ceux qui viennent visiter le roi dans son palais. Il est évident qu’il y a ici un rappel mythologique très ancien qui est illustré dans la statuaire gallo-romaine sous l’aspect de la déesse Épona (dont le nom est dérivé du mot gaulois epos , « cheval »), représentée en cavalière sur sa jument, avec un poulain qui la suit, ou même en jument elle-même. Heureusement, tout s’arrange. La « cavalière » Rhiannon retrouve son fils et se réconcilie avec le roi Pwyll pour le plus grand bonheur de tous (30) . Mais cette heureuse conclusion n’est possible que parce qu’il y a une alliance implicite entre la mère et le fils, alliance divine qui n’est pas sans rappeler le rôle de la Vierge Marie auprès de Jésus. Toutes proportions gardées, on se trouve ici dans le même domaine mythologique.
On peut cependant remarquer que cette histoire de Pwyll et de Rhiannon, avec tous les éléments traditionnels qui la parcourent, est conforme à la morale sociale : l’amour sublime est magnifié, mais dans le cadre du mariage et de la famille. Et bien que les deux héros passent par des moments difficiles qui mettent en jeu l’amour maternel aussi bien que l’amour conjugal, c’est la preuve que le mariage n’est pas forcément un obstacle à l’épanouissement de l’amour. Mais ce n’est pas toujours le cas dans les récits épiques ou mythologiques, car le plus souvent l’amour sublime se situe en dehors des normes sociales en vigueur.
Ainsi en est-il de la légende irlandaise de Diarmaid et Grainné , prototype incontestable des divers récits médiévaux concernant Tristan et Yseult. La jeune Grainné, épouse – ou simplement fiancée dans d’autres versions – du vieux roi des Fiana Finn mac Cool, tombe amoureuse du beau guerrier Diarmaid et, par la vertu d’une incantation magique (équivalent au philtre du roman de Tristan), elle le contraint à l’aimer. Est-ce un amour sublime ? Certainement pour Grainné, mais ce n’est pas si évident pour ce qui est de Diarmaid. De toute façon, cet amour est contrarié dès le point de départ puisqu’il provoque la réprobation de la société, et finalement la mort du héros par suite de la vengeance tenace de Finn. Il en est de même pour Cûchulainn et la belle Fand, la fée lointaine qui vient provoquer le héros et réussit à l’entraîner dans une histoire d’amour impossible. Car si Fand est mariée, dans l’univers mystérieux du sidh , cet Autre Monde celtique, Cûchulainn est lui-même marié avec Émer. À la fin, sommé de choisir entre la fée et la mortelle, il accepte la loi patriarcale et revient à Émer, à la grande douleur de Fand, qui représente symboliquement une ancienne civilisation gynécocratique.
Précisément, à propos de cette histoire d’amour entre Fand et Cûchulainn, racontée avec beaucoup de détails dans le récit intitulé La Maladie de Cûchulainn , se pose un problème qui n’est pas sans intérêt : est-il concevable que l’amour sublime
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