Amours Celtes sexe et magie
pendant la traversée, la jeune Guillardon meurt, au grand désespoir d’Éliduc qui fait construire pour elle, sur la terre d’Armorique, un magnifique tombeau sur lequel il va se lamenter tous les jours. Cela intrigue évidemment l’épouse qui se demande pourquoi Éliduc s’absente ainsi tous les matins. Elle commence par faire suivre son mari, puis, ayant découvert l’emplacement du tombeau, elle y pénètre. C’est alors qu’elle aperçoit le corps de la malheureuse jeune fille.
À ce moment-là, Guildeluec comprend tout, mais au lieu de se mettre en colère, elle se lamente sur le sort de Guillardon et sur la douleur qu’a éprouvée et qu’éprouve toujours son mari. Or, comme une belette vient d’être tuée par un serviteur, elle voit une autre belette s’approcher de l’animal mort et lui mettre dans la bouche une touffe d’herbes qu’elle vient de recueillir. Et la belette morte ressuscite immédiatement. Guildeluec s’empare de ce qui reste d’herbes, se précipite dans le tombeau de Guillardon et place ces herbes dans la bouche de la défunte. Immédiatement, celle-ci bouge et se ranime, comme si elle sortait d’un long sommeil. Puis elle raconte son histoire et son amour pour Éliduc. Alors Guildeluec fait venir Éliduc et lui donne son amie vivante, tandis qu’elle se retire elle-même dans un monastère, par amour pour celui qu’elle aime toujours mais dont elle veut assurer le bonheur avant de satisfaire son propre égoïsme.
Cet exemple d’altruisme est évidemment assez rare, et il appartient de droit à la longue série des contes merveilleux. Mais c’est la même conception qu’on retrouve chez Charles-Louis Fourier lorsqu’il définit ce qu’il appelle « l’amour pivotal ». Cet amour contient en effet « une fidélité transcendante d’autant plus noble qu’elle surmonte la jalousie qui sépare les amours ordinaires ». Il ajoute d’ailleurs, dans son autre essai, Le Nouveau Monde amoureux : « Les polygones ont la propriété de se créer un ou plusieurs pivots amoureux. Je désigne sous ce nom une affection qui se maintient à travers les orages d’inconstance. Un polygone, quoique changeant fréquemment de maîtresses, aimant par alternat tantôt plusieurs femmes à la fois, tantôt une seule exclusivement, conserve en outre une vive passion pour quelque pivotale à qui il revient périodiquement. C’est une amante de charme permanent et pour qui il ressent de l’amour même au plus fort des passions. […] Cet amour est pour lui un lien d’ordre supérieur, un lien de foyer qui se concilie avec les autres amours comme le blanc et les sept couleurs dont il est l’assemblage. »
Fourier apparaît comme singulièrement lucide, et sa vision correspond pour la plus grande part à une réalité vécue chez les Celtes, du moins dans leurs récits légendaires. Pour lui, l’amour, qui n’est ni exclusif ni jaloux, permet à l’individu de dépasser sa propre condition, et de se hausser jusqu’au rêve chrétien des origines : aimer l’autre, même inconnu, donc aimer tous les autres . Cette proposition n’a rien de contradictoire avec les principes évangéliques, bien au contraire. Mais jusqu’ici, prétend Fourier, les hommes n’ont que parler des amours et non pas de l’ Amour . Cependant, dans le nouveau mode de vie qu’il préconise, il prévoit qu’on pourra atteindre enfin le monde divin où l’harmonie éliminera complètement tous les germes de discorde, toutes les guerres, toutes les haines. Vision utopique d’un monde idéal ? Sans aucun doute, mais également conception de l’amour comme facteur de cohésion dans une société qui enfin ne serait nullement répressive. Les amants « pivotaux » ne connaissent pas d’adieu, mais ils vivent dans la réalité toutes les métamorphoses qui répondent à leur nature, à tel moment précis de leur histoire. Il faut bien avouer que les propositions assez délirantes de Fourier rejoignent étrangement les épisodes les plus surprenants de l’imaginaire celtique.
C’est évidemment là qu’apparaît la différence essentielle entre l’amour, force positive qui entraîne les héros vers un dépassement de leur condition, vers un épanouissement de leur personnalité, et la passion, phénomène provoqué par la répression sociale, puissance de destruction de l’être par l’intérieur, état dépressif dans lequel l’individu ne peut plus agir librement et positivement
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