Amours Celtes sexe et magie
soit assorti d’une exclusivité absolue, ou est-il compatible avec d’autres relations autant sentimentales que sexuelles ? Il s’agit tout simplement de la fidélité en amour.
À première vue, l’étude des textes celtiques permettrait de répondre que cette fidélité n’existe pas chez les Celtes, ou tout au moins qu’elle n’est pas de même nature que celle qui paraît normale et naturelle dans les sociétés issues du judéo-christianisme. La célèbre reine Maeve de Connaught a un amant pour ainsi dire officiel, Fergus Mac Roig, mais, pour diverses raisons, elle a bien d’autres partenaires sexuels, ce qui ne l’empêche pas de manifester un amour profond pour son mari, le roi Ailill. La reine Guenièvre a elle-même un amant officiel en la personne de Lancelot du Lac, mais elle n’aime pas moins le roi Arthur, son mari légitime. Dans le récit gallois de Peredur , le héros semble très amoureux d’une femme qu’il a contribué à sauver de ses ennemis, mais tout au long de ses aventures, il promet à de nombreuses femmes qu’il rencontre de « les aimer plus que toute autre ». Il semble qu’il y ait là une incohérence manifeste, et qui risque de ternir quelque peu l’image de cet amour sublime qu’on croit déceler chez les Celtes.
À vrai dire, la notion celtique de fidélité est surtout relative. On peut affirmer que le héros Cûchulainn est « fidèle » à son épouse Émer, mais il n’en contracte pas moins des unions temporaires et même occasionnelles avec d’autres femmes. Il s’agit, semble-t-il, avant tout d’une fidélité à un être d’élection, qui est vraiment l’être qu’on a choisi librement et que l’on aime d’un amour qu’on pourrait qualifier d’absolu. Les liaisons temporaires ou les « brèves rencontres » peuvent alors s’expliquer par un simple désir d’ordre sexuel, ou bien encore par une recherche affective de nature différente du lien qui unit le couple primordial. C’est ce qu’analyse, au XIX e siècle, le philosophe utopiste Charles-Louis Fourier dans son essai sur L’Attraction passionnée , en décrivant ce qu’il appelle, sans aucune arrière-pensée, la « partie carrée ». Il conclut ses réflexions en insistant sur le peu d’importance de ce genre d’infidélités : « Tout s’arrange moyennant quelques petits verbiages sur la perfidie, et on entre en accord de sixte , où chacun connaît les infidélités respectives, et doubles emplois d’amour. Là-dessus s’établit un nouveau lien, qui admet tacitement cet accord phanérogame, cet équilibre de contrebande amoureuse où chacun a trouvé son compte. »
Une chose est certaine dans les textes celtiques : la jalousie, qui est manifeste dans certains cas bien précis et provoque alors des vengeances tragiques, est un mot qui n’a pas tout à fait le même sens que dans les sociétés actuelles, qui insistent sur la possession de l’homme par la femme ou inversement. L’amour sublime, absolu, est d’une nature totalement différente : il n’admet pas l’instinct de possession parce qu’il est altruiste . Il vise en effet au bonheur de l’autre. L’amour, dans ce cas, n’est pas seulement la satisfaction égoïste des instincts d’un individu, c’est le remplacement de ses instincts propres par ceux de l’autre, c’est la pénétration directe non seulement dans le corps de l’autre, mais dans tout son psychisme, dans toute sa sensibilité. Car l’amour digne de ce nom porte vers l’autre, ou vers les autres, sinon il ne peut être que passion égoïste et possessive. Et c’est un conte d’origine bretonne réécrit au XII e siècle par Marie de France, le Lai d’Éliduc , qui en constitue l’illustration la plus émouvante.
Le héros de l’histoire, Éliduc, est un chevalier marié à une noble femme du nom de Guildeluec. « Ils vivaient ensemble depuis longtemps et s’entraimaient avec loyauté. » À la suite de certaines circonstances, Éliduc doit quitter sa terre et son épouse, et va prendre du service en Cornwall, chez le roi d’Exeter. La fille de ce roi, nommée Guillardon, tombe amoureuse de lui, et lui-même n’est pas insensible à cet amour. Mais Éliduc doit revenir dans son pays pour aider son seigneur. Il se résout à quitter son amie en lui promettant un amour éternel. Et lorsqu’il le peut, il retourne en Cornwall chercher Guillardon afin de l’emmener chez lui. Or, au cours d’une tempête,
Weitere Kostenlose Bücher