Antidote à l'avarice
me dire de Gonsalvo de Marca ?
— Vous avez vous-même entendu ce que l’on pense de lui, à Altafulla. Cela est assez vrai. Je ne puis qu’ajouter que c’est un voisin qui convoite mes terres.
— A-t-il dans son entourage un écuyer, beau et élégamment vêtu ?
— Don Gonsalvo ? Un écuyer ? Il n’a rien d’un grand seigneur, maître Isaac. Bien qu’issu d’une bonne famille, c’est un malotru qui se promène en compagnie d’une bande de rustauds, pour sa protection.
— Merci pour votre franchise, Don Gilabert, dit Isaac. Ce changement est bienvenu.
— Puisqu’il semble probable que je survive, finalement, ce serait plus agréable si je faisais cela dans mes foyers. Et puis j’en ai assez des assassins.
— J’ai eu une intéressante conversation avec Don Gilabert, annonça Isaac.
— Qu’avez-vous découvert ? lui demanda Berenguer.
Il écouta alors avec attention le récit détaillé de leur échange.
— C’est vrai que c’est intéressant, dit l’évêque quand le médecin eut terminé, mais j’ai du mal à croire à ces héritiers fantômes alors que nous tenons un filou bien réel qui a un mobile tout trouvé pour assassiner à la fois le moine et Don Gilabert.
— Don Gonsalvo ?
— Qui d’autre ? C’est tout de même le frère Norbert qui a sollicité mon aide. Et comment la mort de ce pauvre hère aiderait un héritier à accéder à la propriété de Don Gilabert ? À moins que la mort du moine n’ait quelque rapport avec les terribles événements survenus à la finca. Laissons Don Gilabert venger la mort de son oncle, il semble tout à fait capable de s’en charger, si vous voulez mon avis. Je me noyais dans mes propres problèmes, Isaac, et je n’ai plus pensé à la mort de ce moine jusqu’à l’arrivée de cette lettre, mais cela ne signifie pas que nous devons l’oublier désormais.
— Vous n’avez pas eu le loisir d’y penser avant aujourd’hui, Votre Excellence. Mais je ne pense pas que les informations de votre ami nous éclairent beaucoup.
— Elles créent un lien entre le moine et Don Gonsalvo, expliqua Berenguer. Il voulait les lettres que portait le frère, et celui-ci est assassiné.
— Cela reviendrait à dire, Votre Excellence, que si j’admire votre cheval et déclare publiquement le désirer, c’est moi qui vous aurais assassiné si vous veniez à mourir. Je m’appuie sur la logique pour émettre une objection. Nous ignorons tout du contenu de ces lettres.
— L’une d’elles comportait le jugement rendu dans l’affaire de Huguet de Lancia Talatarn, précisa l’évêque.
— Seuls Rodrigue de Lancia et son cousin s’y intéressent.
— C’est exact. L’autre avait trait au procès mené par Gonsalvo. Le rapport est peut-être ténu, mais je persiste à lui trouver de l’intérêt.
— S’il s’agissait du jugement rendu à l’issue de ce procès, Votre Excellence, et si Don Gonsalvo avait tué le moine pour cela, il serait en sa possession. Il ne harcèlerait donc pas le vicaire général de Barcelone pour en avoir connaissance.
— Vous êtes implacable, maître Isaac.
— Et pourquoi souhaiterait-il faire assassiner Don Gilabert ?
— Parce qu’il veut ses terres, c’est vous-même qui l’avez dit.
— Dans ce cas, Votre Excellence, est-il l’héritier de Don Gilabert pour que la mort du jeune homme le fasse entrer en possession desdites terres ?
— Je crois qu’il est temps de s’arrêter pour dîner, soupira Berenguer.
Ils franchirent le Llobregat dans l’après-midi et quittèrent la vallée pour Terrassa. Cette fois-ci, ils descendirent chez les chartreux, qui pouvaient mieux les accueillir que les pauvres augustiniens, mais même ainsi, les hôtelleries des couvents se ressemblaient au point de ne plus faire qu’une. Le jour suivant, ils mangèrent une soupe dans un autre réfectoire monacal. Et soudain Gérone ne fut plus qu’à quelques lieues. Les montagnes cédèrent la place aux collines et aux vallées, les rochers et les pins aux champs fertiles. Ils avaient depuis longtemps passé la route de Barcelone. Une fois arrivés à Hostalric, leur ville se trouverait à moins d’une journée de marche.
Isaac passait maintenant des heures perdu dans ses propres pensées. Il ne cherchait plus à résoudre les énigmes posées par ce voyage ; délibérément, il faisait le vide dans son esprit et laissait les événements flotter, libres de toute hypothèse,
Weitere Kostenlose Bücher