Antidote à l'avarice
l’ai emmené en voyage sous un prétexte égoïste, mais je suis comblé de voir que cela a servi à quelque chose.
Dame Emilia alla avec le paquet jusqu’à l’embrasure de la fenêtre, où la lumière était meilleure, et l’ouvrit. Elle y trouva une pile de lourdes soieries, soigneusement pliées, suffisamment pour confectionner la plus belle robe aux manches les plus longues qu’elle puisse imaginer, et encore assez pour faire une robe à sa fille, quand elle serait devenue une jeune femme.
— Votre Excellence, dit-elle, votre générosité ne connaît pas de limites. Si jamais nous pouvons vous rendre quelque service…
— Madame, dit-il galamment, vous pourriez regretter ces paroles. Nous reviendrons par la même route.
— Et vous serez une fois encore les bienvenus.
Le châtelain les accompagna dans la cour et leur réitéra son conseil de rester sur leurs gardes pendant la traversée de la forêt.
— Avez-vous entendu parler d’attaques menées contre des voyageurs dans cette région ? lui demanda le capitaine.
— Non, dit le châtelain. Mais la servante de ma femme – la fille de mon meilleur bûcheron – a raconté à Emilia que nos hôtes devaient faire attention à eux. Je pense que c’est à cause de son père. C’est un homme d’une nature plutôt sombre, qui prévoit toujours le pire. Quant à moi, la nuit dernière, j’ai cru entendre des braconniers dans la forêt, mais ils devraient plus s’en prendre à mes cerfs qu’à mes invités. Je ne vois aucune raison particulière pour que vous vous inquiétiez. Mais, à votre place, je serais tout de même sur mes gardes, capitaine.
— Savez-vous manier l’épée ? demanda le capitaine un peu abruptement.
— Assurément, répondit Gilabert. Pas aussi bien que lorsque j’avais mes deux bras, mais assez bien tout de même. Pouvez-vous m’en fournir une ?
— Oui. Cela nous fait dix hommes armés, dit-il pour soi-même. Son Excellence portera son épée, et ses prêtres en feront de même. Ils sont tout à fait à même de se protéger. Nous devrions être aussi bien préparés. Il y a aussi le cuisinier et son aide. Le palefrenier portera une lance. Vous montez aujourd’hui ?
— Eh oui, capitaine, je monte.
— Vous aurez quelque difficulté à mettre pied à terre si nous sommes attaqués.
— Je peux me battre en selle. Le cheval fera ce que je lui demande.
— Vous en êtes sûr ? Il m’a semblé imprévisible.
Le capitaine lui adressa un étrange regard et demanda à quelqu’un d’aller lui chercher une épée.
Ils avançaient sur la route, silencieux, tendus et inquiets, s’attendant à tout instant à voir fondre sur eux une bande d’hommes à pied ou grimpés sur de petits chevaux de montagne. Les religieuses, les autres femmes et les garçons d’écurie, trop jeunes pour manier une pique ou un bâton, avaient été regroupés au milieu de la file, entre deux chariots. Les autres étaient postés aux extrémités du groupe. La route montait en serpentant, et rien ne se passait. Ils se détendirent un peu.
C’est alors que le sergent et deux des gardes négocièrent une courbe assez serrée, suivis de près du premier chariot, et s’arrêtèrent net. Devant eux, la route était couverte non pas de bandits d’allure féroce, mais d’une horde de femmes accompagnées de quelques vieillards et d’enfants. La plupart étaient pieds nus et vêtues de tuniques grossières remontées sur leurs jambes solides. Quelques-unes étaient armées. À l’avant se tenaient deux femmes à l’air déterminé qui brandissaient des couteaux de cuisine.
— Où est l’aveugle ? demanda la plus téméraire des deux. Et sa fille ?
— Que lui voulez-vous ? lança le sergent. Recule, femme, et laisse-nous passer.
— Pas tant que vous ne nous aurez pas donné l’aveugle, répéta-t-elle.
Une autre femme, échevelée, à la robe sale et déchirée, sortit de la foule. Elle portait un enfant de deux ou trois ans.
— C’est pour moi qu’elle demande l’aveugle, expliqua-t-elle. C’est ma sœur. Elle ne vous veut pas de mal, je le jure. Mon bébé va mourir et j’ai appris ce que l’aveugle avait fait pour l’enfant du château. Il doit m’aider. L’année dernière, j’ai perdu tous mes autres enfants. C’est tout ce qui me reste.
— C’est vrai, s’éleva une voix derrière elle. Marta la Folle, c’est pas une menteuse.
Berenguer s’avança pour observer la
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