Antidote à l'avarice
pitoyable créature.
— Maître Isaac ?
— Je vais examiner cet enfant, dit Isaac, mais si c’est une infection qui a emporté tous vos autres petits, l’aider sera bien au-delà de mes capacités.
— Ils sont morts dans un incendie, dit la femme au couteau de cuisine. Celui-ci a la fièvre et une enflure. Mais c’est pas un bubon de peste, ça, je vous le jure. J’en ai vu, et je sais ce que c’est. Que je meure dans d’horribles souffrances et que je brûle en enfer si c’est un bubon, messire.
— Laisse-moi voir ça, dit le sergent. Écartez-vous toutes.
La mère souleva le pied de l’enfant et le montra au sergent.
— C’est une infection purulente, dit Raquel. Ça se voit d’ici. Amenez cet enfant.
Ils posèrent une couverture sur la route et y couchèrent l’enfant. Raquel lava soigneusement le pied infecté, l’incisa et en laissa sortir les matières putrides. Elle le tamponna et le purifia à l’aide de vin, le recouvrit d’herbes et le banda, puis rendit l’enfant en larmes à sa mère.
— Va au château et demande à la bonne dame qui y vit du bouillon, des œufs frais et de la bonne nourriture pour ton enfant pendant quelques jours. Et ne le laisse pas marcher sur ce pied durant…
Raquel hésita.
— Cinq jours, dit son père d’un ton autoritaire.
— Merci, dit la femme, merci. Il ira bien ?
— Si tu prends soin de lui.
Les femmes se regardèrent, l’air un peu gêné.
— Il faut leur dire, fit la mère de l’enfant. Ça serait pas bien. Après tout, ils se sont arrêtés pour nous aider. Et dame Emilia.
— Nous dire quoi ?
— La route n’est pas sûre droit devant, expliqua la mère. Vous ne pouvez pas continuer.
— Il y a un pont, là-bas, voilà ce qu’il y a. Vous pourriez tomber et vous tuer.
La voix s’était élevée au milieu de la horde, et un murmure lui fit écho, peut-être approbateur mais peut-être hostile.
— Vous pouvez passer par cette piste et redescendre de l’autre côté de la montagne, dit la sœur. Votre malade ne risquera rien.
Dès que la colonne avait fait halte, Yusuf, persuadé qu’on n’aurait pas besoin de lui, était grimpé à flanc de montagne pour voir ce qui les attendait peut-être. Il trouva un pin facile à escalader et monta aussi haut que l’arbre le lui permettait. De ce perchoir, il voyait la route serpenter avant de disparaître, mais aussi quelque chose qui le fit sursauter. Il se laissa glisser à terre, dévala la pente et murmura à l’oreille du capitaine.
— Je crois que nous devrions suivre le conseil de cette brave femme, dit ce dernier.
— Vous en êtes sûr ? lui demanda Berenguer.
— Tout à fait. Elles me semblent honnêtes, reprit le capitaine avec solennité. Nos chariots peuvent-ils emprunter cette route, maîtresse ?
— Les nôtres y arrivent, je vois pas pourquoi les vôtres le pourraient pas. Il faudra pousser de temps en temps, c’est tout.
Ils parvinrent au bout de la route, épuisés et couverts de boue. Tout le monde avait fini par mettre pied à terre et aider. Dans la montée, ils avaient poussé les chariots et les charrettes dans un sol mou et boueux ; dans la descente, il avait fallu les retenir avec des cordes pour empêcher les mules d’être écrasées.
Quand ils purent reprendre normalement leur chemin, Berenguer se tourna vers le capitaine.
— De quoi s’agissait-il ? Je suis persuadé qu’il y avait un piège.
— Il y en avait bien un, Votre Excellence. Trente hommes armés nous attendaient près du pont. Yusuf est grimpé dans un arbre pour jeter un coup d’œil. Par simple curiosité, je pense, ajouta-t-il. Et voilà ce qu’il a vu.
— Mais les femmes n’ont pas voulu avouer qu’on nous avait tendu un piège.
— Un piège constitué de leurs fils et de leurs maris, dirais-je. C’est étrange qu’elles aient fait allusion à un malade.
— Ils cherchaient le jeune Gilabert, dit Berenguer. C’est évident. Et cela signifie que quelqu’un les a payés pour nous attaquer : je ne vois pas pourquoi des montagnards en haillons s’intéresseraient à lui.
Ce fut une marche longue et pénible au flanc de la montagne. Ils s’arrêtaient à peu près toutes les heures, quand la route était assez plate, et se reposaient brièvement. Il y avait abondance de nourriture, mais ils furent bientôt trop fatigués pour manger.
— Quand est-ce qu’on arrive en haut ? demanda le marmiton.
— Jamais, lui
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