Antidote à l'avarice
sentiment qu’il manquait quelqu’un. Pourtant les trois hommes étaient là, et cela lui suffisait. Il referma le portail et appela les autres.
Yusuf demeura assez longtemps dans la rue pour assister à l’arrestation. En quelques minutes il fut au palais ; et il expliqua la situation à l’évêque avant même que les gardes ne franchissent les portes du quartier juif.
— Merci, Yusuf, dit Berenguer. Viens avec moi voir ce qu’a fait le noble Don Sancho. Tu es bien sûr que ces hommes étaient ses officiers ?
— Tout à fait, Votre Excellence. Ils ont parlé de l’archevêque alors qu’ils arrêtaient mon maître et ses deux compagnons.
L’archevêque n’était pas dans son cabinet, s’excusa son secrétaire. D’ailleurs, l’archevêque n’était disponible pour personne, quelles que fussent les circonstances. La question de l’évêque de Gérone serait abordée en temps utile, mais pas maintenant. Blanc de rage, Berenguer sortit à grands pas du palais, Yusuf sur ses talons, et suivi de Bernat, de Francesc et de l’assistant du secrétaire de l’archevêque. Berenguer descendit les marches en courant et se dirigea vers le quartier juif. C’est là qu’il rencontra les officiers de la garde qui escortaient leurs prisonniers.
Les deux groupes firent halte.
— Où emmenez-vous mon médecin personnel ? tonna l’évêque.
— À la prison de l’archevêque, répondit l’officier tout en cherchant du regard le soutien de ses hommes.
— Vous ne le pouvez pas !
— J’ai des ordres, Votre Excellence. De l’archevêque, ajouta-t-il en désespoir de cause.
Il ne savait pas du tout ce qu’il ferait si l’évêque décidait de libérer sur-le-champ son médecin.
— Votre Excellence, dit une voix derrière lui. Je vous en prie. Je suis certain que l’archevêque sera enchanté de discuter de ce problème dès qu’il sera disponible.
— Et quand ?
— Très bientôt.
Un groupe de curieux s’était formé : ils étaient fascinés par le spectacle d’un évêque en plein conflit avec la garde de l’archevêque.
— Ils emmènent l’évêque en prison, lança quelqu’un.
— On ne peut pas faire ça, répliqua un autre. Personne n’a jamais mis un évêque en prison hormis le pape. C’est interdit.
— Qu’est-ce que tu en sais ?
— Ma sœur travaille aux cuisines du palais, et elle est au courant, répondit une femme. C’est les juifs qu’ils jettent en prison.
— Pourquoi ?
— Parce qu’ils sont juifs.
— L’évêque essaye de les convertir, expliqua une autre femme.
— Laissez-moi passer, je ne vois rien, protesta une troisième.
Et bientôt un chœur de voix lui fit écho, et tout le monde se pressa pour mieux voir.
L’officier de la garde devenait écarlate. Il avait été poussé contre Berenguer et perdait le peu d’autorité qu’il détenait.
Francesc et Bernat avaient réussi à se faufiler.
— La foule s’énerve, Votre Excellence, murmura Bernat. Nous sommes tous en danger. Surtout les juifs. Il vaudrait mieux rentrer au palais.
Berenguer regarda autour de lui et acquiesça.
— Venez, messires, dit-il d’une voix claire, revenons au palais. Braves gens, laissez-nous passer, je vous en conjure.
Il dit cela non pas d’un ton suppliant, mais avec l’assurance de celui qui sait que ses ordres seront obéis. En un rien de temps, la foule se dispersa comme neige au soleil.
— Je demeurerai ici jusqu’à ce que je parle à Son Excellence, le noble Don Sancho, claironna Berenguer.
La porte du cabinet s’ouvrit, et Berenguer entra.
— Votre Excellence, Don Sancho. J’avais espéré évoquer ce problème à une heure plus commode, mais les événements de la matinée m’obligent à passer dès à présent à l’action.
L’archevêque ne put dissimuler sa surprise.
— Passer à l’action ?
— Sa Majesté s’émeut beaucoup des événements qui ont récemment affecté les juifs de la ville. Ce matin, la… l’erreur qui a entraîné l’arrestation d’un marchand et d’un artisan, des hommes de poids et de réputation, ainsi que de mon médecin personnel, n’a fait qu’aggraver la situation.
— De quels événements récents parlez-vous, Don Berenguer ? demanda prudemment Don Sancho.
— Les attaques lancées contre les juifs et la destruction de leurs propriétés. Je crois savoir que le trésorier de Sa Majesté vous a écrit à ce propos. Il vous aura mieux expliqué la
Weitere Kostenlose Bücher