Au Coeur Du Troisième Reich
bassin était très simple : la nature marécageuse du sous-sol ne permettait pas de construire quoi que ce soit à cet endroit.
Sur le bord ouest du bassin devaient se dresser trois grands bâtiments : au milieu, le nouvel hôtel de ville de Berlin, long de près d’un demi-kilomètre. Nos préférences, à Hitler et à moi, allaient à des projets différents ; après de longues discussions, mon argumentation finit par l’emporter sur la résistance tenace de Hitler. L’hôtel de ville serait flanqué du nouveau Haut commandement de la marine de guerre et de la nouvelle Préfecture de police de Berlin. Sur le bord est serait construite, au milieu d’espaces verts, la nouvelle Académie de guerre. Les plans de tous ces bâtiments étaient déjà terminés.
Sans aucun doute, cette voie reliant les deux gares centrales devait constituer une éclatante transposition architecturale de la puissance politique, militaire et économique de l’Allemagne. Au centre se trouvait le maître absolu du Reich ; comme symbole suprême de sa puissance devait se dresser, tout près de lui, le Grand Dôme, l’édifice qui devait dominer le Berlin de l’avenir. Ainsi, sur le papier du moins, se trouvait réalisée la phrase de Hitler affirmant que « Berlin devait changer de visage pour s’adapter à sa nouvelle et grande mission 7 ».
Je vécus dans ce monde pendant cinq ans et, malgré tous leurs défauts, malgré tous leurs côtés grotesques, je ne parviens pas à renier totalement mes conceptions d’alors. Il me semble parfois, quand je recherche les raisons de mon aversion à l’égard de Hitler, qu’en plus de tout ce qu’il fit et projeta d’horrible, je dois peut-être également citer la déception personnelle que m’a causée sa façon de jouer avec la guerre et les catastrophes ; mais par ailleurs je vois bien aussi que tous ces projets ne sont devenus possibles que par ce jeu sans scrupules.
Des projets d’une telle importance étaient évidemment les indices d’une mégalomanie permanente, mais, malgré tout, il serait injuste de condamner à la légère toute la planification de cet axe nord-sud. Il n’y avait guère plus d’exagération dans les dimensions de cette large avenue, de ces nouvelles gares centrales avec leurs moyens de transport souterrains, que dans celles de nos immeubles commerciaux, aujourd’hui dépassés dans le monde entier par les gratte-ciel administratifs et les ministères. Si ces projets n’étaient plus à l’échelle humaine, c’était moins en raison de leurs dimensions que de leur côté outrancier et ostentatoire. Le Grand Dôme, la future Chancellerie du Reich, l’édifice somptueux de Göring, le Mémorial du Soldat et l’Arc de Triomphe, tous ces bâtiments je les voyais à travers les prétentions politiques de Hitler qui, un jour qu’il regardait la maquette de la ville, me prit par le bras et me confia, les yeux embués de larmes : « Comprenez-vous maintenant pourquoi nous voyons si grand ? La capitale de l’Empire germanique – si seulement j’étais en bonne santé… »
Hitler était très pressé de voir commencer la réalisation de cette avenue longue de sept kilomètres, la pièce maîtresse de ses plans d’urbanisme. Au printemps 1939, après avoir fait des calculs très exacts, je lui promis que tous les édifices seraient terminés en 1950. A dire vrai, j’avais espéré que cette nouvelle le réjouirait particulièrement. Mais je fus quelque peu déçu, car il se montra tout juste satisfait en prenant acte de ce délai, qui pourtant ne pouvait être tenu que grâce à une activité ininterrompue sur les chantiers. Peut-être songeait-il en même temps à ses projets militaires, qui devaient rendre illusoires tous mes calculs.
A d’autres moments, par contre, il insistait tellement pour que les travaux soient achevés dans les délais prévus, il semblait si impatient de voir arriver l’année 1950, que cette attitude aurait été la meilleure de ses manœuvres de mystification, si ses rêves urbanistes n’avaient été qu’un moyen de camoufler ses desseins expansionnistes. Les nombreuses réflexions de Hitler sur la signification politique de ses projets auraient dû me rendre méfiant, mais elles étaient contrebalancées par la certitude qu’il affichait de voir mes travaux berlinois être exécutés normalement dans les délais prévus. Et puis j’étais accoutumé à l’entendre parfois faire des remarques
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