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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sackville-West
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qu’il veut partir dans la mécanique !… Je ne sais pas si ça vaut la peine que Votre Grâce lui parle… Lui dise qu’il est en train de lâcher la proie pour l’ombre… Lui dise qu’il est en train de briser le cœur de son vieux père… Ma foi, je ne sais pas… Les jeunes gens tiennent tellement à leurs idées !… Mais, pour moi, il me semble que tout est perdu, maintenant que mon aîné veut quitter la maison et aller travailler aux autos.
    * * *
    Léonard Anquetil s’éveilla tard et demeura quelque temps les mains croisées derrière la nuque, tout étonné de se trouver au milieu d’un tel décor. Être invité à Chevron parce qu’on a essayé d’aller au pôle Sud ! Quelle drôle de chose ! Chevron, cet anachronisme ! les amis de la duchesse, ces personnages de carton ! Anquetil ne se laissait pas impressionner par eux, mais il reconnaissait qu’ils avaient du caractère. Chevron, surtout, lui plaisait ; bien qu’il fût peu sensible aux choses du passé, Chevron représentait pour lui un morceau de l’histoire d’Angleterre. Mais, hélas ! Chevron était mort, ou, en tout cas, mourant ; c’était un rocher grignoté par les eaux. Quant aux invités de la duchesse, incroyables et chimériques, il se demandait s’ils ne survivraient pas à Chevron. Le snob, prospère et ruiné, était un type éternel de l’espèce humaine. Même en haillons, il y aurait toujours un groupe de gens qui feraient profession d’élégance et de supériorité, conservant un jargon qui créait entre eux une sorte de franc-maçonnerie, rejetant tel candidat, adoptant, pas pour longtemps et selon le caprice du jour, des étrangers comme lui-même. Il n’avait pas d’illusions ; il en avait si peu qu’il ne se méprisait même pas d’être là. Il avait voulu voir de près la haute société anglaise ; eh bien ! il l’avait vue. Désormais, il n’en aurait plus envie, et il ne lui en coûterait rien d’échapper à leurs poursuites.
    Sans être fat, Anquetil s’était bien rendu compte qu’il avait éveillé l’intérêt de la duchesse, et cela l’ennuyait. Au début, elle lui avait à peine donné son petit tour de flatterie.
    — Imaginez, sir Adam, que M. Anquetil a été abandonné par son bateau tout un hiver dans le cercle arctique, et qu’il a vécu dans une hutte de neige, en ne mangeant que des biscuits.
    Elle avait essayé de le faire parler, lui avait demandé de raconter d’où venait cette cicatrice sur sa joue ; puis, trouvant qu’elle lui avait accordé assez d’attention, elle était passée charitablement à quelqu’un d’autre. Mais, tandis qu’après le thé elle se promenait avec lui le long d’un herbage, il avait tout à coup senti qu’elle ne le considérait plus comme une attraction, mais tout simplement comme un homme. Tandis qu’il la regardait, ébahi, fasciné par l’incroyable flot de réflexions saugrenues qu’elle déversait, elle avait levé les yeux sur lui et surpris son regard. Dès lors, à son grand embarras, ses manières avaient subitement changé : elle avait habilement insinué (oh ! sans un mot) qu’ils se comprenaient. Dieu merci, il avait été prudent. Il n’était pas entré dans le jeu. Car la dernière chose qu’il recherchait, lui, Léonard Anquetil, c’était bien une liaison avec une femme du monde.
    — Pourquoi diable, se demanda-t-il, revenant à la réalité, ai-je accepté de rester ?
    Puis il se rappela : les enfants. Il aimait les êtres jeunes et, de plus, il avait hâte de voir la maison livrée à elle-même après le départ de ces pies et de ces perroquets. Hier, il était assis à côté de la jeune fille, et, bien qu’il n’ait réussi à lui arracher que quelques mots, son regard timide, comme pris au piège, avait éveillé sa curiosité. Le garçon aussi ; car le frère et la sœur se ressemblaient.
    — Mais s’ils sont encore rebelles, c’est qu’ils sont jeunes, pensa-t-il ; bientôt, ils seront obligés de capituler.
    Dans son lit confortable, Anquetil rêvait, laissant le silence chaud et luxueux de Chevron pénétrer jusqu’à ses os.
    * * *
    La duchesse, également au lit, pensait avec plaisir à Léonard Anquetil. Il y avait quelques mois, elle avait fait entendre à Harry Tremaine qu’elle était fatiguée de lui, et elle se demandait si Léonard Anquetil serait un bon remplaçant. Pourrait-elle l’imposer à ses relations ? Sans doute… Ils grogneraient, peut-être, mais elle

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